Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

EN 2011, UNE ENTREPRISE ANGLAISE DÉLOCALISAIT SON USINE BRUXELLOISE. LOUIS THELLIER FAISAIT PARTIE DES 300 TRAVAILLEURS CONCERNÉS.

Johnson m’a tuer

DE LOUIS THELLIER, ÉDITIONS FUTUROPOLIS, 98 PAGES.

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« Je voulais juste faire quelque chose de positif, tuer le temps en me sentant utile. Et faire entendre la voix des travailleurs autrement que par des entrefilets, vite lus et oubliés. » C’était en 2011. Louis Thellier, jeune Français exilé depuis longtemps en Belgique, travaillait depuis cinq ans à Evere, dans une usine de pots catalytiques appartenant au géant Johnson Matthew, leader mondial du secteur. Ce matin de janvier, il s’apprête à rejoindre comme tous les jours sa ligne de fabrication, au moment où l’annonce tombe: l’usine, bien que bénéficiaire, va être délocalisée en Macédoine; les propriétaires ont déjà évacué en un week-end l’essentiel du matériel; les 300 travailleurs du site seront eux bientôt à la porte. Commencent alors de longs mois d’occupation du site et de lutte syndicale. Une lutte qui ne sauvera aucun emploi et qui serait déjà oubliée aujourd’hui, remplacée par (trop) d’autres, si Louis Thellier, ce matin-là, ne s’était pas muni d’un bic -« le seul matériel disponible et fourni par l’employeur, on ne pouvait rien faire entrer dans l’usine« . Trois ans plus tard, les croquis réalisés, les commentaires enregistrés et les planches publiées sur son blog et dans des fanzines imprimés et brochés sur place à l’attention de ses collègues, sont devenus une « vraie » bande dessinée, retravaillée et publiée chez Futuropolis. Un éditeur français branché depuis quelques années sur le BD-reportage et les récits du réel. Celui-ci ne pouvait que le séduire: il vient de l’intérieur, et donne une voix aux sans-voix.

Du dessin comme arme syndicale

Assemblées générales, actions de blocage, négociations, Louis Thellier ne manque rien de ces mois d’attente, et surtout pas l’ennui qui peu à peu s’installe dans le quotidien et sur le visage des ouvriers, obligés d’être présents sans rien avoir à faire. Une dénonciation du libéralisme et de ces excès, vécue à hauteur d’hommes, et qui a convaincu Thellier du bienfait de sa méthode, inventée au jour le jour pendant ces jours de conflit: « J’ai essayé de rendre accessibles à tous des sujets difficiles et souvent très théoriques, le libéralisme, ou les délocalisations, qui sont pourtant très concrètes. La BD et le dessin sont pour ça des outils remarquables, que j’aimerais continuer à utiliser et développer. Je suis toujours au chômage, mais je travaille par exemple sur un récit consacré au traité de libre-échange transatlantique, un sujet vraiment complexe, mais qui nous concerne vraiment tous. » Johnson m’a tuer s’avère ainsi autant un compte-rendu minutieux de conflit social qu’une réflexion sur l’usage du dessin comme arme de combat.

OLIVIER VAN VAERENBERGH

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