Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

ATTENDUE DEPUIS 20 ANS, LA TRADUCTION DU GRAND ROMAN DU POÈTE POP ET MAUDIT DES LETTRES AMÉRICAINES EN LAISSERA PLUS D’UN PERPLEXE: LE GÉNIE Y CÔTOIE L’ILLISIBLE.

L’Infinie comédie

DE DAVID FOSTER WALLACE, ÉDITIONS DE L’OLIVIER, TRADUIT DE L’AMÉRICAIN, 1487 PAGES.

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Le résumé de ce livre impossible à résumer donnerait envie à beaucoup: dans un futur proche, le Mexique, le Québec et les Etats-Unis ont formé une fédération surpuissante, désormais dirigée par la société du spectacle et la dictature du divertissement. On ne vit plus qu’à travers la télé, les médicaments et l’ultra-consommation. Mais une poignée de terroristes québécois lutte encore, et tente de mettre la main sur une étrange cassette vidéo (oui, Infinite Jest a été écrit en 1996), qui pousse tous ceux qui la regardent dans l’addiction totale et immédiate, jusqu’à ce que mort s’ensuive. Une vidéo réalisée par le patriarche de la famille Incandenza -lequel s’est suicidé au micro-ondes.

Voilà pour le résumé, excitant, mais qui ne dit pourtant rien de ce livre-monstre. Tentons plutôt le bref extrait. Nous voilà dans le chapitre « Année de la compresse médicale Tucks », lequel suit « Année des sous-vêtements pour adultes incontinents Depend ». Le jeune Hal Incandenza, tennisman surdoué, hypermnésique, toxico et un brin dingue, passe devant le conseil d’une université qui doit décider, ou pas, de son incorporation. Dialogue: « – Je connais une seule personne qui emploierait l’adverbe « exhaustivement » dans une conversation banale. – Il n’y a rien de banal chez un conversationnaliste professionnel et ses collaborateurs. Nous creusons, nous trouvons et voilà. Mon petit monsieur. – D’accord. Alexandrine ou con- stantinienne? »

Incompris ou incompréhensible?

Rien compris? Besoin de relire? C’est à peu près normal: vous voilà plongé dans l’univers étrange, complexe et pour le dire vite complètement fou de David Foster Wallace. Et dans un roman certes culte, mais jugé intraduisible en français pendant près de 20 ans. Il en a fallu trois aux éditions de l’Olivier pour y arriver. Trois ans et deux traducteurs, l’un s’attaquant au texte proprement dit, l’autre se focalisant sur les notes de bas de page qui, regroupées en fin de roman, en font plus de 500… Un roman-monstre de 1500 pages et un kilo et demi, qui vous laissera à sa lecture une drôle d’impression: celle, désagréable, d’être trop bête pour le saisir, ou celle, à peine plus rassurante, d’avoir affaire à un génie trop avant-gardiste pour le commun des mortels. Un génie lui-même mort suicidé il y a cinq ans, après quelques essais et seulement trois romans, dont le dernier est d’ailleurs resté inachevé, quoique publié (Le Roi pâle, qui ressort en Poche). L’Infinie comédie, qui emprunte son nom à la fameuse cassette, lui-même référence à l’univers shakespearien, ressemble donc à une épreuve, et à une plongée sans scaphandre dans les méandres d’un cerveau brillant mais mortifère. Beaucoup, face à sa prose unique, crient au génie. On a surtout eu, nous, envie d’appeler au secours.

OLIVIER VAN VAERENBERGH

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