Mutations du film noir – Patrick Brion s’attache, dans un album richement illustré, à inscrire le film noir dans une perspective contemporaine. Un voyage passionnant.

De Patrick Brion. Editions de La Martinière. 360 pages.

Auteur, notamment, d’un ouvrage de référence sur le film noir, genre révéré du cinéma américain dont il retraçait l’âge d’or, de 1939 à 1958, Patrick Brion y adjoint aujourd’hui un prolongement précieux, s’attachant, dans L’héritage du film noir, à inscrire ce dernier dans une perspective contemporaine. Mieux qu’un appendice, la démarche est passionnante, dès lors que, semblant toujours se réinventer dans la forme comme dans le contenu, le film noir n’a cessé d’imprégner la production américaine – jusqu’au cinéma des Coen, Fincher et autre David Lynch, par exemple. Une mue dont Brion s’emploie à prendre la mesure à travers l’analyse de quelque 70 films, couvrant une période allant de 1959 et Odds Against Tomorrow de Robert Wise, à 2003 et Mystic River de Clint Eastwood.

Le choix de ces deux titres ne doit bien sûr rien au hasard, s’agissant d’£uvres inscrites au c£ur même de la société américaine et en prise sur les maux la rongeant – le racisme pour l’une, la pédophilie pour l’autre -, et traduisant de ce fait l’une des évolutions les plus significatives du genre.

Miroir désenchanté du monde

Cette perméabilité du film noir à son environnement est ici limpidement restituée, l’auteur accompagnant, film après film, ses glissements successifs en matière, par exemple, de traitement de la sexualité ou de la violence. Le film noir en miroir désenchanté du monde en somme, gage de sa pérennité, et hypothèse qui aura séduit quantité de réalisateurs majeurs. Démonstration, ici, au gré d’une plongée dans l’£uvre des Hitchcock, Fuller, Peckinpah, Penn, De Palma, Coppola, Scorsese, Altman, Demme, Tarantino et tant d’autres, les uns se réappropriant le genre, les autres en recyclant des figures-clés, telles le privé ou la femme fatale.

Comme toujours, Brion appuie sa démarche sur une recherche solide. Outre une fiche technique et divers détails tels les lieux de tournage, chaque film bénéficie d’une analyse substantielle, pouvant à l’occasion être relevée de l’une ou l’autre anecdote – histoire de savoir pourquoi il pleut continuellement dans Seven, ou de ne plus rien ignorer des conditions houleuses du tournage de Straw Dogs ni des circonstances qui conduisirent au remplacement de Huston par Fleischer sur The Last Run, par exemple.

Quelques choix discutables – The List of Adrian Messenger, par exemple, dont l’auteur admet qu’il s’agit d' » un film mineur dans la splendide carrière de Huston » -, et une certaine confusion dans les résumés des films, n’enlèvent rien à la qualité d’ensemble de l’ouvrage, qui ajoute au plaisir de lecture une somptueuse iconographie – du formidable gros plan de Robert Mitchum dans Cape Fear aux multiples portraits de Billy Bob Thornton dans The Barber. Sans même parler de Jessica Lange dans The Postman Always Rings Twice

Jean-François Pluijgers

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