Full motion video : pilule bleue ou pilule rouge?

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Michi-Hiro Tamaï Journaliste multimédia

Cousin du cinéma interactif, le gaming en full motion video signe, depuis peu, un improbable retour. The Centennial Case: A Shijima Story couronne cette tendance avec talent. Silence, on joue!

En général, les gros éditeurs n’osent guère sortir des sentiers battus. A la surprise générale, Square Enix a édité récemment The Centennial Case: A Shijima Story. Le label de Final Fantasy exhumait ainsi le cadavre du gaming en full motion video (FMV). Ces jeux vidéo faisant un usage abusif de séquences filmées pullulaient au milieu des années 1990. Mais leurs ressorts ludiques abyssaux et leur relent de nanar les avaient vite enterrés. Récemment portés par une vague indé tout aussi inattendue, les jeux en FMV n’ont toutefois pas dit leur dernier mot.

S’inspirant de Gaston Leroux et d’Arthur Conan Doyle, The Centennial Case: A Shijima Story se vit comme un jeu d’investigation exigeant un sens aigu de l’observation et de la déduction. La protagoniste, Haruka Kagami, enquête sur une grande famille japonaise qui détiendrait le secret de la vie éternelle. Incarnée par le joueur, cette autrice de romans policiers à succès y creuse cinq meurtres perpétrés sur un siècle. Imaginé par Junichi Ehara (NieR: Automata) et Koichiro Ito (Metal Gear Solid V), le jeu saute fréquemment d’une époque à l’autre. D’une vente aux enchères de 1921 à un club des années 1970, résoudre ces cold cases et découvrir le lien qui les unit réjouissent, tout comme les questions d’immortalité et d’éthique scientifique qui veinent son récit.

Si le cinéma interactif n’a pas eu le succès espéré, ses héritiers gaming sont parfois brillants.

Preuves à l’appui

Malgré des acteurs surjouant parfois certaines scènes, The Centennial Case reste heureusement hors de la danger zone des farces FMV des années 1990. De l’inflexion d’un dialogue au léger changement d’expression d’un visage (coucou L.A. Noire!), observer attentivement tous les détails des scènes filmées y est vital. Chaque cinématique se conclut par l’exploration d’une grille dont certaines cases hexagonales révèlent des questions pour faire évoluer l’enquête.

The Centennial Case, une enquête qui se joue comme au cinéma.
The Centennial Case, une enquête qui se joue comme au cinéma. © National

Où le meurtre a-t-il été commis? Quelle est l’arme du crime? Pour émettre des hypothèses et avancer dans la réflexion, des dizaines d’indices écrits sous-titrent une longue pellicule filmique (découpée en moments clés). Au joueur de tracer les bons liens entre les preuves et ses interrogations. Chaque dénouement donne lieu à une scène filmée lors de laquelle est désigné le coupable face à une assistance. S’il n’invente rien, ce gameplay très proche d’Ace Attorney a le mérite de faire un excellent usage du média vidéo. Ou comment réhabiliter la très mauvaise réputation des jeux en FMV.

En 1993, Bill Gates louangeait les jeux FMV en citant The 7th Guest. Ce puzzle game écoulé à 450 000 copies cristallisait selon lui «un nouveau standard en matière de divertissement interactif». Le jeu vidéo découvrait alors les vertigineuses capacités de stockage des CD-Rom. Les gamers, jusque-là habitués à des visuels sommaires, tombaient de leur chaise face à ces trips cinématographiques. L’action préhistorique SF de Time Gal, les avions de chasse de Tomcat Alley ou le pilotage à tombeau ouvert de Road Avenger en mettaient plein la vue.

La FMV m’a tuer

Sega Mega CD, Philips CD-i, Amiga CD32, 3DO… Les consoles et extensions nineties qui ont jalonné cette vague n’ont toutefois jamais percé. Des cow-boys grimaçant de Mad Dog McCree à la drague improbable de Plumbers Don’t Wear Ties, la plupart des titres relevaient du nanar. Très souvent, leur gameplay se limitait à l’appui d’une touche au bon moment pour éviter le game over. Mais des exceptions existent. Nous glissant dans la peau d’un téléopérateur déclenchant des pièges pour protéger des adolescentes d’attaques de ninjas-vampires (sic), Night Trap tirait ainsi son épingle du jeu en affichant huit flux vidéo simultanés en 1992. Des jeux d’aventure comme Phantasmagoria ou The X-Files Game, considéré par les fans comme un bon spin-off de la série télé, ont également amené des propositions ludiques plus travaillées dans les années 1990. Mais l’émergence et l’intérêt soulevé par la 3D temps réel (Tomb Raider, Mario 64…) ont éclipsé la technologie FMV.

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Tendre et féroce sur YouTube, la nostalgie des jeux en full motion video s’est récemment emparée de plusieurs créations indés. Her Story de Sam Barlow brille ainsi comme un exercice de dérushage psychologique. En janvier dernier, Not for Broadcast nous faisait incarner un réalisateur de JT jonglant avec la censure, un soupçon d’humour british et d’ambiance eighties en prime. The Infectious Madness of Doctor Dekker des studios Avekki et Out of Service d’Anthony Pollos ont enfoncé le clou. Sans oublier, dans un tout autre registre, Super Seducer, un jeu de drague aux questions à choix multiple assez trash.

Simple hasard? Face au retour de la FMV, le succès inattendu de Netflix avec Bandersnatch, film issu de la série d’anthologie Black Mirror, cristallisait le soubresaut du cinéma interactif en 2018. Si bien que la plateforme de streaming cumule aujourd’hui une vingtaine de films et séries interactifs dont You vs. Wild et Carmen Sandiego: to Steal or Not to Steal. YouTube permet également de créer des vidéos à embranchement multiples, tandis que la plateforme Eko aligne des courts métrages plutôt bien ficelés (Possiblia, Chatterbox: Escape the Asylum).

De ses premiers pas à l’exposition universelle de Montréal en 1967 à sa timide percée sur DVD dans les années 2000 (Tender Loving Care, Destination finale 3), le cinéma interactif n’a pas eu le succès espéré. A côté des jeux FMV, il a toutefois enfanté une poignée d’héritiers gaming brillants, Life Is Strange de Dontnod et Detroit: Become Human de Quantic Dream le prouvent avec éclat. Même sans séquences filmées, ces titres recyclent avec talent une structure narrative à choix multiple.

The Centennial Case: A Shijima Story, édité et développé par Square Enix, âge: 16+, disponible sur PC, PlayStation 4 et 5 (version chroniquée) et Nintendo Switch.

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