Danny Boyle ramène de Bombay un fort cocktail de rude réalisme et de conte optimiste, un Slumdog Millionaire tourné à la sauvage et dont l’impact pourrait être grand.
Il a donc toujours cette folle énergie qui marquait Shallow Grave et surtout Trainspotting, ses deux premiers longs métrages. Danny Boyle, 52 ans, n’a pas fini de nous épater. Le nouveau film du natif de Manchester, son meilleur depuis le zombiesque 28 Days Later en 2002, propose un étonnant et détonant mélange de réalisme social exacerbé très british et de fable glamour comme aime en trousser le cinéma indien. Slumdog Millionaire, c’est un peu (et même beaucoup) Dickens à Bollywood, avec son héros sorti de la plus noire misère et accédant au paradis télévisuel de Qui veut gagner des millions?
A Londres, où il nous a reçus avec son hospitalité coutumière, l’ami Danny a commenté pour Focus un tournage vraiment pas comme les autres.
Focus: en s’embarquant dans un projet comme celui-là, plongeant dans une réalité très éloignée de la nôtre, n’est-il pas surtout important de savoir ce qu’il ne faut pas faire, sous peine de tout rater?
Danny Boyle: c’est même la chose essentielle! Et pour moi, savoir ce que je ne devais faire sous aucun prétexte était facile. Il y avait tous ces films mettant en scène des Occidentaux en Inde, tous ces films que j’avais haïs, tous ces films entrepris avec un point de vue qui n’est plus soutenable aujourd’hui. J’en savais quelque chose, puisque j’ai fais moi-même un de ces films: The Beach ( NDLR: son triste flop thaïlandais avec Leonardo DiCaprio, sorti en 2000). J’avais eu tout faux, là-bas, en Thaïlande. J’y avais débarqué avec des centaines d’acteurs et de techniciens occidentaux. Certes, je nourrissais les meilleures intentions du monde. Mais j’arrivais quand même à la tête de ce qui pouvait ressembler à une armée d’invasion. Sans mitrailleuse bien sûr, mais j’aurais tout aussi bien pu en prendre, tant qu’à faire! Car quand vous arrivez ainsi en masse de Londres, le résultat c’est: » Virez tous ces foutus Thaïlandais du chemin, que nous puissions faire notre foutu film tranquilles! » J’ai détesté cette expérience. Tout le monde là-bas était super gentil avec nous, parce que nous avions plein d’argent. Mais au fond, ils nous vomissaient…
Vous avez donc corrigé le tir de façon spectaculaire avec Slumdog Millionaire.
Nous sommes partis à dix seulement. Le travail a été accompli par une vaste majorité d’acteurs et de techniciens indiens. Le seul acteur qui n’est pas de Bollywood est Dev Patel, qui joue le rôle principal et qui vient de Londres. Beaucoup de gens pensaient qu’en travaillant de cette façon, nous allions au devant de grandes difficultés. Mais non, bien au contraire! Les difficultés viennent à coup sûr si vous les craignez, elles se présentent si vous envisagez votre job – encore à la manière d’une armée d’invasion! – comme une suite d’obstacles à vaincre, à surmonter… En s’immergeant comme nous l’avons fait au c£ur de la réalité de Bombay, nous avons pu capter sa folle dynamique, et la ville est devenue un personnage à part entière. En renonçant à des choses comme le contrôle, les répétitions, la continuité (toutes choses qui n’existent pas là-bas), nous avons pu saisir une énergie urbaine qui n’a aucun équivalent occidental. Il y a plein d’erreurs dans le film, des gens qui regardent dans la caméra, des faux raccords, etc. Mais je m’en moque complètement. Ce que nous avons gagné à travailler de cette manière est tellement plus important!
Vous avez travaillé avec une caméra digitale assez révolutionnaire. Une autre manière de se fondre dans la réalité des choses?
Oui, car avec cette minuscule caméra, nous n’attirions plus l’attention, nous pouvions nous fondre dans certains lieux, la rue, les bidonvilles, par exemple. Cette caméra c’est en fait un objectif qui tient dans le creux de la main, et qui est relié par un câble à un ordinateur portable que le cameraman porte sur son dos (dans un sac avec de la glace sèche, pour éviter la surchauffe…). C’est comme un £il humain, ça filme à hauteur d’homme!
Entretien Louis Danvers, à Londres.
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