Actrice

© National

Quand on lui demande comment était sa mère (Katherine O’Dell, comédienne), Norah Fitzimmons, romancière, botte le plus souvent en touche, avec un zeste d’ironie. Capter l’essence de celle qui fut une icône à l’identité irlandaise puissante autant qu’une femme qui tira sur le pied du producteur Boyd O’Neill, puis fut internée, s’avère tâche impossible. Piquée au vif par une chercheuse qui lui consacre une thèse et voit en elle une féministe, Norah s’efforce de rendre ses nuances à l’actrice depuis ses débuts, dans la troupe de théâtre itinérante de son père, jusqu’au pic de sa célébrité aux États-Unis puis au déclin, non sans raconter, entre les lignes, l’ambiguïté de vivre avec un tel personnage (“je suis l’une des rares personnes à avoir vu sa mère nue, en compagnie de trois cents autres personnes qui la voyaient nue, elles aussi”). Anne Enright a commencé à façonner Actrice avant l’éclatement de #MeToo, mais les mécanismes qu’elle expose (le contrôle des studios sur la vie de Katherine, y compris privée, la prédation des hommes sur Norah encore jeune fille et la violence qui entoura sa naissance, les opportunités de carrière qui chutent après 30 ans, les humiliations gratuites de Boyd) font clairement écho à ceux dénoncés par le mouvement. Les observations piquantes et le sens épatant de la formule de l’autrice irlandaise font d’Actrice un livre drôle par-delà sa noirceur et sa solitude. Entre les lignes, on y touche du doigt l’amour viscéral qui lie Katherine et Norah, quand la caméra s’arrête de tourner, qu’il n’y a personne d’autre pour assister à leur spectacle commun.

D’Anne Enright, éditions Actes Sud, traduit de l’anglais (Irlande) par Mathilde Bach, 352 pages.

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