Roman jeunesse: l’estime après le succès?

© TOM HAUGOMAT
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

Genre jeune en perpétuelle réinvention, la littérature pour ados s’affirme et s’installe, portée par les réseaux sociaux et les adaptations. Ne manque plus que la reconnaissance de ses pairs. On y arrive.

Les noms de John Green, Christophe Mauri, Robert Muchamore, Christelle Dabos, Stephenie Meyer ou Timothée de Fombelle ne résonnent pas en vous, alors que vous lisez régulièrement les pages culture de votre magazine et, on imagine, beaucoup de bouquins? Alors, soyez forts, et désolé de vous l’annoncer un peu abruptement: vous êtes vieux. Ou, disons, plus assez jeune au sens – vaste – que la littérature donne aujourd’hui à cette notion, puisque tous les auteurs précités sont de véritables stars pour les amateurs de livres qui ont, à la louche, entre 8 et 20 ans. John Green a vendu plus de deux millions d’exemplaires de ses Etoiles contraires, Christophe Mauri casse la baraque avec sa série fantasy Mathieu Hidalf, Robert Muchamore a créé le phénomène Cherub, dont les 17 tomes se sont écoulés à 3,3 millions d’exemplaires rien qu’en français, quant à Stephenie Meyer, elle est à l’origine de la saga Twilight qui, comme Hunger Games ou Divergente, a mêlé littérature de genre et émois sentimentaux (et surtout adolescents), et donne le « la » de la production dite young adult depuis plus de dix ans. Le tout à l’ombre, évidemment, du phénomène Harry Potter, qui, depuis 1997, a révolutionné le genre, en a érigé les nouveaux codes et continue d’affoler les compteurs. On estimait ses ventes mondiales il y a deux ans à un demi-milliard de livres… En ce début de mois de décembre en France, sa nouvelle réédition en Poche Jeunesse était à nouveau n°1.

Roman jeunesse: l'estime après le succès?

Si les médias et les cercles littéraires adultes continuent de mépriser largement cette littérature (très) segmentée et pour l’essentiel dite de divertissement, c’est pourtant là que ça se passe: selon les derniers chiffres GfK de l’édition francophone, un livre sur quatre vendu tient désormais de la littérature jeunesse (en ce compris la BD), et 90% des 14.000 nouveautés qui arrivent chaque année (hors Covid) sur les étals sont à mettre au crédit « du segment livre jeunesse ». Pas mal pour une littérature qui ne peut compter que sur les libraires, les cours de récré et les réseaux sociaux pour se faire connaître et, qui sait, atteindre le Graal: obtenir une adaptation au cinéma, ou en série sur Netflix , et devenir pop culture.

Un livre sur quatre vendu tient désormais de la littérature jeunesse (en ce compris la BD).

Richesse et diversification

« Cette notion de roman jeunesse est très vaste, elle va des premières fictions courtes encore accompagnées d’images pour les enfants qui viennent d’apprendre à lire, jusqu’à ces romans dits young adult destinés aux lecteurs de 14 à 20 ans. Mais tout dépend évidemment de la maturité du lecteur », explique Céline Charvet, éditrice « roman jeunesse » chez Casterman, connu pour ses bandes dessinées, mais qui publie également entre 30 et 40 romans jeunesse par an. Dont ce Cherub – récits d’espionnage anglais où les espions ont de 10 à 17 ans – « qui a rapidement tourné au phénomène en recrutant largement au-delà de sa cible de base, qui devait être les 11-14 ans. Un succès qui s’est bâti presque tout seul, dans les cours de récré et les réseaux sociaux, comme Nos étoiles contraires. Et si on n’atteint plus les records de ventes complètement dingues d’il y a dix ans, quand le premier tome d’une trilogie type Hunger Games se vendait facilement à 500.000 exemplaires, le secteur est devenu extrêmement riche et très diversifié, avec de plus en plus d’auteurs d’un excellent niveau, qui ont eux-mêmes grandi avec Harry Potter. On peut le diviser grossièrement en deux catégories: la littérature de genre, fantasy, anticipation, dystopie, qui est extrêmement codifiée, et une littérature young adult plus réaliste, contemporaine, mais surtout très moderne dans son approche et ses thématiques: racisme, intégration, sexualité, égalité hommes-femmes… Elle est, par exemple, beaucoup plus LGBT friendly que la littérature dite pour adulte. Même si elle souffre encore d’un énorme déficit de reconnaissance. »

Roman jeunesse: l'estime après le succès?

Un constat qui ne tient peut-être pas de la fatalité: de plus en plus de romans dits jeunesse s’invitent dans les short list des prix littéraires, quand ce ne sont pas les auteurs installés dans l’adulte qui viennent s’y essayer, tel Michel Bussi (lire encadré). Après tout, il fut un temps, celui de L’Attrape-Coeur, du Grand Meaulnes ou de Sa majesté des Mouches, où le distinguo ado/adulte n’avait pas beaucoup de sens, qu’il soit littéraire, ou marketing.

Sorties et repères

Le retour de J.K. Rowling avec L’Ickabog

J.K. Rowling is back! C’est évidemment l’événement de cette fin d’année au rayon roman jeunesse, et un fameux pari pour Gallimard, le plus gros éditeur du genre qui en a d’ores et déjà tiré 200.000 exemplaires: la créatrice de Harry Potter publie L’Ickabog (1), un conte « sur la peur, la vérité et les abus de pouvoir ». Elle le racontait à ses enfants et la pandémie l’a poussée à le mettre sur papier. Deux adolescents, un garçon et une fille, vont y combattre un monstre qui n’existe peut-être que pour faire peur au peuple… Y aurait-il du sous-texte dans ce retour aux sources?

  • L’Ickabog, par J.K. Rowling, Gallimard Jeunesse, 352 p.

Un guide de littérature ado

C’est à notre connaissance le premier du genre, également très révélateur du contexte qui entoure ces nouveaux romans jeunesse: les youtubeurs et jumeaux français Tom et Nathan Lévêque, « tombés dans la marmite de la littérature jeunesse quand ils étaient petits », viennent d’éditer, à compte d’auteur, via un financement participatif et dans une écriture non genrée, En quête d’un grand peut-être (1), un guide de la littérature ado remarquable sur le sujet, qui en retrace l’histoire, l’évolution et les cent incontournables. Une « littérature de l’intensité » et « des grandes et dernières premières fois » qui possède désormais son ouvrage de référence.

  • (1) En quête d’un grand peut-être. Guide de littérature ado, par Tom et Nathan Lévêque, éd. Grand Peut-Etre, 224 p.
Michel Bussi: « J’avais envie d’une saga pour ados »

Roman jeunesse: l'estime après le succès?
© Dyod – Agence Opale – Leemage

En moins de quinze ans et des romans comme Nymphéas noirs, Mourir sur scène ou Gravé dans le sable, Michel Bussi est devenu l’un des poids lourds de l’édition française, régulièrement cité dans le top 3 des gros vendeurs, entre Guillaume Musso et Marc Lévy. Un auteur connu pour la diversité des genres qu’il visite, et qui ne sera pas démenti par sa dernière sortie: avec N.é.O. (1), Michel Bussi se lance pour la première fois dans la saga, « une sorte de Game of Thrones pour ados, à la française », qui voit deux bandes rivales d’enfants s’affronter dans un monde postapocalyptique où les adultes ont disparu. Les uns incultes mais proches de la nature, planqués dans le Tipi (la tour Eiffel), les autres, savants mais incapables, réfugiés au Château (Le Louvre). Une saga très codifiée, mais totalement assumée.

Comment doit-on qualifier votre dernier roman? En dos de couverture, il est question d’une saga jeunesse lisible dès 12 ans, mais votre éditeur parle volontiers d’une saga young adult.

Je l’ai lu à ma fille quand elle avait 9 ans, et il n’y a pas eu de soucis. Moi, j’ai tendance à dire « roman jeunesse » parce que c’est le plus large possible, et qu’on peut rester jeune longtemps! Young adult, ce n’est pas une expression que j’aime bien, ça ne veut pas dire grand-chose. Je sais juste que j’entame une série de quatre livres, dans lesquels les personnages vieilliront de deux ans à chaque fois, de 12 à 18 ans. Le premier propose donc un univers assez léger, accessible, mais qui deviendra de plus en plus sombre, à des lecteurs qui vieilliront avec lui. Comme dans Harry Potter. Mais j’avais depuis longtemps cette idée de monde sans adultes, et cette envie d’écrire une vraie saga comme j’en ai moi-même lu beaucoup. Le succès m’a juste offert la possibilité de le faire.

Roman jeunesse: l'estime après le succès?
© PKJ

Un roman jeunesse s’écrit-il comme un thriller pour adultes? Lequel contient le plus de codes à respecter?

J’essaie de rester très instinctif. Dans le vocabulaire, ça ne change pas grand-chose, mais dans la façon de raconter, pour les ados, il faut être plus épuré, plus dans l’émotion. Dans un roman adulte, on aime les coquetteries, complexifier, donner des fêlures. Mais ici, vous partez toujours d’archétypes, en essayant d’en faire des personnages vivants: la sorcière, le chef, la bonne copine, le débrouillard… Et ça, j’adore! Je crois plus aux archétypes qu’aux pensums qui aboutissent à des personnages gris clair. C’est fondamentalement plus amusant à écrire et plus ludique, même pour casser les codes. Et puis, les ados réagissent avec leurs tripes. Pas la peine de se lancer dans de longs discours, il faut plutôt susciter une réaction brute. Créer des scènes qui provoquent des images, des émotions ; la réflexion se fait ensuite, naturellement. C’est la force de ce genre de sagas. Et le sentiment qui l’emporte, c’est celui de la révolte, de l’injustice.

On a cru comprendre que l’adaptation BD était déjà en route. Et la série?

La BD est en cours, oui, en quatre tomes aussi, elle sortira au printemps prochain. Quant à la télé ou le cinéma… J’en rêve évidemment, j’ai presque écrit pour! Il faudrait juste un peu de moyens ou une bonne palette graphique. Pour toucher les ados, y’a pas photo: on peut avoir un livre qui marche bien, mais dès qu’on touche à la série, on entre dans une autre dimension, dans la culture populaire. C’est une sorte de Graal. C’est beaucoup moins vrai chez les adultes.

(1) N.É.O. (1/4) - La chute du soleil de fer, par Michel Bussi, éd. PKJ, 508 p.
(1) N.É.O. (1/4) – La chute du soleil de fer, par Michel Bussi, éd. PKJ, 508 p.

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