Critique | Livres

L’Irlande du Nord maudite de Jan Carson

4,0 / 5
© jonny ryder

Jan Carson, Sabine Wespieser éditeur

Les Ravissements

440 pages

4,0 / 5
© National
Anne-Lise Remacle Journaliste

Jan Carson épluche l’été 1993, celui où une maladie fulgurante toucha les enfants et fit des ravages à Ballylack, en Irlande du Nord.

Onze ans, c’est un âge des possibles -celui où l’on imagine déjà à quoi ça ressemblera, d’être adulte. Mais quand on vit en vase clos dans une petite bourgade d’Irlande du Nord (ici fictive, mais façonnée selon la stricte Ballymena, d’où est originaire Jan Carson) pendant les Troubles, ce simple exercice de prospective devient beaucoup plus complexe, comme le constate la bien-aimée institutrice Miss McKeon. Nous sommes en juin 1993, et la douzaine d’élèves que compte la classe aspire surtout à ce que l’avenir soit meilleur. Élevée dans une famille de protestants fondamentalistes, Hannah Adger se sent souvent à l’écart et ne peut guère compter que sur son Grandpa. Dad refuse qu’elle écoute les Beatles ou qu’elle aille au cinéma. Observatrice en orbite, elle le deviendra davantage lorsqu’une maladie inexpliquée s’abat sur ses camarades, à commencer par Ross, le plus fluet. À peine mort, ce dernier apparaît chez elle, la prenant à témoin de sa nouvelle existence dans une Ballylack des limbes, débarrassée d’adultes et de contraintes. La bourgade sombre dans la panique à cause de l’épidémie inquiétante, avec gestionnaire de crise -rapidement décrié… après tout, c’est un catholique d’Irlande du Sud!- et prolifération des médias à l’appui. De la farouche Kathleen (peu impressionnée depuis que sa propre mère a péri dans une explosion) à Lief (autrefois marginal et devenu chef du gang des Enfants Morts) ou Caroline (qui déteste que les conflits perdurent), tous ceux qui sont devenus adolescents pour l’éternité voient en Hannah le réceptacle parfait pour leurs confessions post-mortem. Contre toute attente, la fillette résiste à l’infection.

No, no limit

Comme dans Les Lanceurs de feu, Jan Carson prend un malin plaisir à brouiller les pistes (est-il irrationnel de penser qu’il s’agit d’une malédiction divine? Si pas, qui pourrait être responsable d’une telle tragédie? Pire encore: le coupable fait-il partie de Ballylack?) et mixe au shaker ironique les genres. Entre décompte macabre à la Agatha Christie, observation minutieuse de citoyens au point d’implosion et réalisme magique corsé d’humour (Que ferait Jésus si un type mort apparaissait dans sa baignoire en pleine nuit?”, se demande Hannah, s’adaptant à l’étrangeté tout en restant en accord avec ce qui lui a été inculqué), l’autrice tient avec panache les rênes de son histoire, en nous donnant à connaître en pleine vulnérabilité des personnages pétris de failles. À travers Maganda (Philippine que tous s’obstinent à appeler Megan) et son mari Alan (vrillé de la culpabilité de ne pas aimer son fils), c’est la délicate intégration de l’altérité dans des communautés fermées qui est en jeu ici.

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