La littérature d’aventures revient en force: “Face au marasme général, les gens ont besoin de s’évader”

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Philippe Manche Journaliste

Parmi les 466 ouvrages qui ont atterri chez les libraires lors de cette rentrée littéraire moins foisonnante que les années précédentes -le secteur n’échappe pas à la crise-, deux tendances se dessinent. On constate d’abord une percée des romans futuristes ou dystopiques comme celui d’Emily St. John Mandel aux éditions Rivages La Mer de la tranquillité. Plus étonnant, la sortie de trois romans d’aventures qui (re)donnent envie de se replonger dans l’œuvre des Melville, Conrad, Kipling ou London. Soit La Contrée obscure de David Vann (éditions Gallmeister), Pour mourir, le monde de Yan Lespoux (éditions Agullo) et Les Naufragés du Wager de David Grann (éditions du Sous-sol). Trois fresques épiques, maritimes et dantesques qui fédèrent critiques et public. Que nous disent ces récits qui font écho au chaos de notre monde? C’est ce que nous avons tenté de savoir en compagnie d’Isabelle Parent, directrice des éditions Paulsen, spécialisées en littérature de voyage et d’exploration, et leur fondateur, lui-même scientifique -il a été coordinateur du programme de la mission Tara Artic (2006-2008), Christian de Marliave.

Que vous inspire la sortie simultanée des romans d’aventures de David Vann, Yan Lespoux et David Grann dont les récits se déroulent au XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles?

Isabelle Parent: Je constate que ces trois romans sont des récits d’aventures et de vécus. On part d’un fait historique pour en faire un roman, à l’exception des Naufragés du Wager, qui est certes un roman d’aventures mais surtout un ouvrage de non fiction. Ce sont des romans de mer où des personnages historiques sont mis en scène. Depuis quelques années, on a vu de plus en plus d’éditeurs aller vers ces sujets que sont le voyage ou la nature. Chez des “petits” éditeurs comme Le Mot et le Reste ou même d’ailleurs chez des éditeurs généralistes. Ces romans d’aventures sont de plus en plus présents dans la littérature, c’est vrai, et s’opposent un peu à une littérature peut-être un peu plus centrée voire autocentrée. Chez Paulsen, nous sommes plus dans le récit d’aventures et moins dans le roman d’aventures historique tel que vous l’évoquiez. Je constate aussi qu’avec la crise sanitaire, il y a une très forte demande sur les récits d’alpinisme et maritimes.

Pendant la crise sanitaire, justement, des lecteurs découvraient ou relisaient La Peste de Camus ou 1984 d’Orwell tandis que d’autres avaient ce besoin d’évasion pure. C’est ce que vous dites?

I.P.: Il y a ce besoin d’évasion dans le temps et dans l’espace. Cet appel de la nature, de quitter la ville pour aller bien au-delà et où l’homme va être presque solitaire et se retrouver confronté aux éléments. Il y a aussi cette envie de découverte. Pour faire écho à vos trois romans, que ce soit en Amazonie ou sur un navire échoué au large de la Patagonie, on est dans ces grands siècles de la découverte, dans une époque où tout n’était pas encore cartographié, où il y avait l’inconnu.

Le roman d’aventures véhicule des valeurs fortes comme le dépassement de soi, la solidarité, l’abnégation, l’héroïsme. Des valeurs fortement romanesques. Est-ce une des raisons de ce succès?

I.P.: C’est en tout cas une tendance qui se retrouve dans tous les types de médias puisqu’il y a beaucoup de podcasts sur des histoires d’explorations ou de naufrages. À l’instar du podcast de Daniel Fiévet sur France Inter intitulé Naufragés – Une histoire vraie.

L’époque insécurisante qui est la nôtre participe-t-elle d’une manière ou d’une autre au succès de ce genre littéraire?

I.P.: Oui, je pense qu’il y a quelque chose de cet ordre-là. Nous l’avons constaté en le traitant de manière détournée, par exemple, avec une biographie de John Muir (J’aurais pu devenir millionnaire, j’ai choisi d’être vagabond d’Alexis Jenni, NDLR), qui était un des premiers écologistes américains. On voit que ce genre de sujet, quand on raconte l’histoire de quelqu’un qui a vraiment vécu en phase avec la nature, ça marche. Donc on va chercher quelque chose quand on ne sait pas où va le monde ni comment il sera demain. Je pense que ça passe d’abord par l’évasion, par l’envie de s’éloigner de toute cette angoisse. Je peux vous donner un exemple concret avec Endurance, 1914-1917 (récit du voyage du trois-mâts Endurance qui transporta en 1915 une expédition dirigée par Sir Ernest Shackleton et ayant pour objectif de traverser à pied le continent antarctique, mais le bateau s’est retrouvé prisonnier de la banquise sans avoir pu toucher terre, NDLR). Nous l’avons publié il y a dix ans avec une version illustrée de ce texte. On l’a republié parce qu’il était en rupture de stock et là, il va falloir qu’on le réimprime. On voit que ces récits accompagnés de très belles photographies fonctionnent aussi et offrent une autre évasion par l’image, justement.

Christian de Marliave: Effectivement, face au marasme général qui nous entoure en ce moment, les gens ont besoin de s’évader à travers les ouvrages. S’évader soit dans des régions qu’ils connaissent et, à travers l’ouvrage, ils souhaitent retrouver des émotions qu’ils ont vécues; soit ils ne la connaissent pas et ils cherchent à la découvrir à travers les l’ouvrages qu’ils lisent. C’est ce qui m’attire dans les régions que je visite généralement, ces régions très désertiques où on a l’impression de retrouver des espaces un peu vierges comme dans l’état où ils étaient il y a encore une centaine d’années.

Isabelle Parent

1977 Naissance en région parisienne.

2002 Diplômée d’Histoire et de l’ESCP Business School.

2014 Arrivée aux éditions Paulsen, qu’elle dirige aujourd’hui après avoir été responsable éditoriale.

Christian de Marliave

1951 Naissance à Chamonix.

1975 Obtention d’un DEA en mathématiques.

2004 Crée les éditions Paulsen, dont il est toujours le gérant et le conseiller éditorial et scientifique.

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