Critique | Livres

Camille s’en va de Thomas Flahaut: un trio d’amis en lutte

4 / 5
© Peter Samuel Jaggi

Thomas Flahaut, éditions de l'Olivier

Camille s'en va

288 pages

4 / 5
Anne-Lise Remacle Journaliste

Thomas Flahaut bâtit une histoire de luttes hypnotique dans laquelle un trio d’amis aux idéaux vibrants s’assemble, s’embrase et s’évapore.

Depuis ses débuts (Ostwald, puis Les Nuits d’été), Thomas Flahaut tient de façon précise et résistante le fil à plomb d’une œuvre ancrée dans une société -la nôtre- où l’effondrement (humain et climatique) et la répression policière gagnent du terrain. Dans ce troisième roman (le plus dense et le plus émouvant), Jérôme (Geronimo), Tony (Yvain) et Camille se sont connus à l’heure des apprentissages et des amours naissantes. Le premier (fils de docteur) se rêvait architecte sans construction; le deuxième, chaudronnier; et la troisième (une sœur à la parole toujours juste), au point d’incandescence des manifestations. Tous trois s’engagent à leur façon, s’élancent et s’organisent: “Ils auraient un jour une maison à eux où ils inventeraient quelque chose comme le germe d’un quotidien communiste. Une maison pour le groupe Victor Serge et les autres, les camarades de passage, les camarades en fuite, ceux qui ont besoin de repos après la bataille, les gens de la rue.

Mais au temps du confinement, alors même qu’ils ont trouvé cet endroit où nicher leurs aspirations, Camille s’en est allée à Fargo (Dakota) pour lutter contre la construction d’un pipeline. Elle garde contact par téléphone, usant d’intermédiaires aux pseudonymes d’esprits japonais, continuant à propager son aura héroïque à distance. Mais cette fois, contre toute attente, elle ne reviendra pas. Geronimo est dévasté par ce qu’il vit comme une trahison. Il prend seul la tangente, se réfugie dans un chalet de montagne, est absent à l’enterrement de son père. Il “a verrouillé les portes de la maison de sa mémoire”. Il attendra neuf ans pour refaire surface et renouer avec Yvain, qui l’appelle en renfort pour construire des cabanes dans les arbres à la Cingle et ralentir le processus d’évacuation de cette zone autrefois protégée menacée de déforestation. Mais peut-on remuer le passé sans prendre feu?

© National

Talismans

Depuis l’invisibilité quasi totale du scarabée caméléon -espèce endémique qui devient le symbole brandi par les gens de la Cingle luttant pour préserver leur biotope- en passant par la Sainte-Mère-des-Glaces (statue du Val supposée repousser le glacier mais qui devient ensuite une incitation à ce qu’il reprenne place) jusqu’à la présence en pointillés d’Ulysse et de son Odyssée, Flahaut parsème sa narration de tremblements furtifs, quasi fantastiques. En contrepoint de l’attention portée aux gestes et aux corps en mouvement (tantôt individuellement, tantôt collectivement), du pouls tangible de ses protagonistes (entre les yeux rougis par le gaz lacrymo et la mélancolie viscérale qui étreint Geronimo, toujours en orbite et hanté par Camille, spectre flamboyant), ils font de Camille s’en va un roman qui se nourrit aussi d’une foi dans la fiction, la mue en fragile talisman, au cœur de combats où tout le reste devient incertain.

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