Jodie Foster: « True Detective prend acte de notre profonde angoisse face à tant de choses »

Liz Danvers (Jodie Foster, ici avec Finn Bennett), une enquêtrice redoutable empêtrée dans une affaire sombre et complexe. © Michele K. Short/HBO
Kurt Blondeel Journaliste Knack Focus

Plus de 30 ans après Le Silence des agneaux, Jodie Foster incarne à nouveau une enquêtrice dans True Detective: Night Country. Une nouvelle saison, marquée par un accent féminin et une bonne dose de gothique arctique, qui remet la série sur les rails.

Des personnages principaux complexes et cabossés. Une trame philosophique et existentielle. Des paysages mystérieux et menaçants. Un style visuel saisissant. Un destin surnaturel. La résolution épineuse d’un crime. Il y a dix ans, Nic Pizzolatto, le créateur de True Detective, rassemblait tous ces éléments dans un cocktail explosif. La première saison avait été pour beaucoup un vrai choc télévisuel. Et la classe de Matthew McConaughey et Woody Harrelson dans des rôles d’enquêteurs aux caractères diamétralement opposés y était certainement pour quelque chose. Les deux livraisons suivantes de la série anthologique -avec d’autres histoires criminelles et d’autres acteurs- risquaient de sembler bien pâles en comparaison avec la première et c’est effectivement ce qui s’est passé. Trop artificielle et superficielle, puis trop labyrinthique et trop lente.

Mais, alléluia, cette quatrième saison, sous-titrée Night Country, est un coup dans le mille. Est-ce parce que Nic Pizzolatto s’est mis en retrait comme producteur exécutif et n’est plus vraiment impliqué? Peut-être. Est-ce parce que HBO a laissé à peu près carte blanche à la Mexicaine Issa López en tant que scénariste, réalisatrice ET showrunner? C’est probable. Avec Tigers Are Not Afraid (2017), un sombre film de fantasy et d’horreur très apprécié dans lequel elle mettait en lumière l’impact de la guerre de la drogue sur les enfants mexicains, Issa López a déjà montré qu’elle pouvait gérer plusieurs choses en même temps: ambiance, suspense et engagement.

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Mais surtout, elle a réussi à percer l’âme de la première saison de True Detective. Et que Night Country soit situé non pas dans le bayou brûlant de la Louisiane, mais dans la toundra glacée de l’Alaska, plongée dans l’obscurité 24 heures sur 24 pendant les longs mois d’hiver, n’y change rien. López rend également hommage à l’horreur mystique de la série, symbolisée par le fameux signe de spirale et présente le mal comme un phénomène à la fois humain et métaphysique -dans lequelle elle implique même les Beatles. Et en prime, Issa López mène cette quatrième saison vers une résolution plausible, en abordant au passage des thèmes comme le racisme, l’écologie et le sexisme.

Car il y a encore une autre bonne surprise: l’équipe chargée d’élucider le mystère du meurtre central est cette fois féminine. Jodie Foster, deux fois oscarisée en tant qu’actrice (pour Les Accusés en 1988 et Le Silence des agneaux en 1991), et l’ancienne championne du monde de boxe Kali Reis, qui s’est également imposée au cinéma depuis le film Catch the Fair One (2021), incarnent en effet les inspectrices de police Liz Danvers et Evangeline Navarro. Anciennes collègues, elles nourrissent un ressentiment mutuel, qu’elles doivent mettre de côté pour enquêter ensemble sur la disparition d’un groupe de scientifiques d’une station de recherche voisine qui effectuait des forages de glace dans le permafrost. En parallèle, le duo cherche un lien avec un cold case (peut-il en être autrement au-delà du cercle polaire arctique?) concernant une femme inuite assassinée. Inutile d’ajouter que chacune des deux porte aussi en elle un profond traumatisme personnel qu’elle devra finalement affronter.

Pour True Detective, Jodie Foster a pu également se raccrocher à un moment lointain de son parcours d’actrice, l’un de ses rôles les plus mémorables restant bien sûr celui de l’enquêtrice du FBI Clarice Sterling, dans Le Silence des agneaux (1991). “Mais je préfère encore porter un uniforme que les costumes gris de Clarice, dit-elle en riant. Comme Clarice, Liz Danvers est une femme qui évolue dans une profession largement masculine. Toutes deux ont dû s’endurcir face à la misogynie ambiante. J’espère seulement que Clarice ne deviendra jamais aussi cynique que Liz, qui a érigé un mur autour d’elle suite à la perte d’un de ses proches et qui se méfie des émotions.”

Autour de Jodie Foster, un casting épatant: Kali Reis, sa co-enquêtrice, Christopher Eccleston (à gauche), son supérieur, et la découverte Isabella Star LaBlanc (ci-dessous), sa belle-fille.
Autour de Jodie Foster, un casting épatant: Kali Reis, sa co-enquêtrice, Christopher Eccleston (à gauche), son supérieur, et la découverte Isabella Star LaBlanc (ci-dessous), sa belle-fille. © National

Evangeline Navarro, le personnage de Kali Reis, est une flic coriace d’origine inuite. Elle croit au surnaturel, auquel Liz Danvers ne croit pas du tout.

Jodie Foster: Liz Danvers est rationnelle et froide, alors qu’Evangeline Navarro est intuitive et spirituelle. Elles savent que si elles veulent résoudre l’affaire, elles ont besoin l’une de l’autre pour compléter leurs propres lacunes. Mais elles ont aussi beaucoup en commun. Toutes les deux sont des mères de substitution: Danvers pour sa belle-fille inuite, Navarro pour sa sœur atteinte d’une maladie mentale. Et chacune lutte aussi avec la perte d’un être cher. Cette histoire parle également du deuil. De la manière dont les morts restent parmi nous et se manifestent. Elle traite enfin du lourd tribut que la nature doit payer pour son exploitation par l’homme, et de la manière dont, à un moment donné, elle riposte. J’ai trouvé ça beau. J’ai tout de suite eu confiance en Issa López, la showrunner. Lorsqu’il a été clair qu’elle prendrait également en charge les six épisodes, j’ai embarqué dans l’aventure.

La série est parsemée de messages: sur l’égalité des droits, sur le sexisme, sur le racisme à l’égard des peuples autochtones d’Alaska, sur la science sans scrupule….

Jodie Foster: C’est à ça que servent les histoires. Elles vous secouent, vous font ressentir l’impact de ces thèmes parce que, en tant qu’êtres humains, nous les trouvons importants, en tout état de cause. Avec un film ou une série, on crée beaucoup plus rapidement un lien émotionnel. Cette série prend acte de notre profonde angoisse face à tant de choses qui vont mal dans le monde.

Night Country se déroule à Ennis, une ville fictive du fin fond de l’Alaska. La valeur mais aussi l’oppression des autochtones Inupiaq-Inuits constituent un des axes essentiels de l’histoire. Alors pourquoi la série a-t-elle été tournée en Islande?

Jodie Foster: Il n’y a pas de routes là où nous aurions dû idéalement tourner en Alaska, et il aurait fallu transporter tout le matériel de production par avion, ce qui n’était pas faisable. Les températures y sont aussi beaucoup plus extrêmes qu’en Islande. Nous y avons donc transféré des Alaskains, mais nous avons aussi impliqué de nombreux habitants du Groenland pour la figuration. J’ai été étonnée de constater qu’ils parlent là-bas apparemment les mêmes langues que les Alaskains, car leurs cultures se fondent là-haut, dans le Grand Nord. Kali et moi avons toutefois bien visité l’Alaska, mais en été. Nous y avons aperçu des ours, cueilli des baies et pêché du saumon. C’était magique. C’est un endroit proche du centre de la Terre -c’est en tout cas l’impression que j’ai eue.

Comment se prépare-t-on à des semaines de tournage dans un environnement aussi rude, où l’on ne voit pas le soleil?

Jodie Foster: Avec des manteaux chauds, des gants et des bottes adaptées (rires). Après, on se retrouve automatiquement en partie dans son personnage. J’avais déjà pas mal travaillé en tant qu’actrice dans l’obscurité pour ne pas trop m’en soucier. Et à la latitude où nous tournions, on avait tout de même un peu de lumière du jour entre 11 et 15 heures. Personnellement, j’ai trouvé ça supportable. Certainement parce que, comme mon personnage, je pouvais continuer à jouer à Fantasy Football (rires).

Sauf pour ceux qui sont nés dans des régions aussi éloignées et inhospitalières, celles-ci font souvent office de lieu de refuge….

Jodie Foster: (elle acquiesce) Les gens espèrent y oublier leurs problèmes personnels. Où peut-on faire ça mieux qu’au bout du monde? La vie y est définie par des préoccupations pratiques. Vous n’avez pas intérêt à vous retrouver sur le bord de la route en hiver avec le réservoir de votre voiture vide, sinon vous êtes mort. C’est une mentalité de survie qui règne. On y vit avec la nature dans toute sa beauté, sa grandeur et sa brutalité.

La nuit polaire et son froid mortel sont presque des personnages à part entière…

Jodie Foster: C’est vrai. Cet endroit, dans ces conditions, imprègne toute l’histoire. Au lieu du bayou brûlant, de la métropole de Los Angeles ou des forêts de l’Arkansas des saisons précédentes, on a cette terre gelée et sombre. Et ça dégage quelque chose de puissant, car c’est plus ancien que la vie elle-même. On se relie ainsi au courant sous-jacent terrifiant de True Detective, mais aussi à la mythologie spirituelle des cultures indigènes. J’ai trouvé que c’était un terrain extrêmement fertile pour une histoire dans laquelle intervient le pouvoir colossal de la nature, mais aussi le pouvoir des femmes.

Est-ce que, comme vous, vos partenaires de jeu ont été marqués par cet environnement?

Jodie Foster: Oui, et pour Christopher Eccleston, Finn Bennett et Fiona Shaw, qui sont des acteurs britanniques, c’était sans doute bizarre d’aller travailler en Islande et de devoir faire semblant de se promener en Alaska. Mais leur accent est tout à fait crédible. Finn continuait même à parler tout le temps en alaskain-américain. Sauf le dimanche. (rires)

Le film Nyad de Netflix, dans lequel vous jouez aux côtés d’Annette Bening, est également sorti récemment. Cela signifie-t-il qu’on va vous voir plus à l’écran?

Jodie Foster: J’ai en effet traversé une période assez riche comme actrice. J’ai donc mis de côté ma carrière de réalisatrice (notamment les films Little Man Tate, Money Monster et un épisode de Black Mirror, NDLR), mais je vais m’y remettre bientôt. Vous savez, j’ai grandi sur les plateaux de tournage. Quand j’étais jeune, je passais d’un projet à l’autre (notamment Taxi Driver, de Martin Scorsese, quand elle avait 14 ans, NDLR). Mais on ne peut pas continuer comme ça pendant toute une vie professionnelle. Et en tant que mère, je ne voulais pas négliger mes enfants. Réaliser des films m’a offert la possibilité d’imprimer ma marque autrement. Ceci dit, je me suis vraiment bien entendue avec Issa. Avant même d’avoir mis les pieds sur le lieu de tournage, nous avons longuement discuté. Dans ce domaine, je suis comme une étudiante: j’aborde tout de manière intellectuelle. Je fais des listes et je prends des notes, mais je les oublie rapidement quand le moment du tournage arrive. Car j’espère que le personnage est dans mon corps à ce moment-là.

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