Séries télé: les palmarès de Canneseries et Séries Mania ont redéfini les frontières du genre
Les sélections des festivals Canneseries et Séries Mania sont résolument ouverts sur le monde. Bilan.
France, Italie, Danemark, Australie, Royaume-Uni, Israël et Russie. Pays-Bas, Liban, Belgique, Norvège, Espagne, Mexique ou encore Corée… Les sélections officielles des deux grands festivals du printemps, Canneseries (4-11 avril) et Séries Mania (27 avril-5 mai) ont reflété les mouvements tectoniques qui modifient peu à peu la cartographie du genre. Les plus optimistes -qui ne sont pas nécessairement les plus insensés- y verront l’avènement et la maturité des fictions télé et des publics hors du champs américain.
Alors que Netflix multiplie quasiment par deux ses investissements en Europe depuis 2017, qu’elle dézone et privilégie les coproductions locales, le Festival Séries Mania, qui l’a accueillie à bras ouverts à Lille, a poursuivi dans une veine qui est la sienne depuis toujours: l’éventail le plus large et le plus complet possible des séries, à une échelle internationale. De son côté, arrimé à un festival de cinéma prestigieux qui, d’une édition à l’autre, peut changer le centre de gravité du septième art, Canneseries a résolument opté pour une sélection officielle hors-USA -si on excepte la très réjouissante Killing Eve de la Britannique Phoebe Waller-Bridge, produite par BBC America. Le Grand Prix remporté par la série israélienne When Heroes Fly, traîtant par la bande le syndrome post-traumatique des soldats de l’opération « Plomb durci » à Gaza, a permis à son réalisateur Omri Givon de confirmer une tendance: « Quelque chose d’énorme se passe en Israël, une génération s’empare de sujets de société, prend la parole, écrit, produit et trouve une reconnaissance à l’étranger qu’elle n’ont pas toujours chez elle ». Cette réalité s’est aussi exprimée à Lille quelques semaines plus tard, à travers le Prix du Jury attribué à son compatriote Yuval Shafferman pour On the spectrum. Tomer Kapon, acteur dans When Heroes Fly, rappelle que, malgré tout, » la situation reste très difficile à la télévision. Créer une série demande un effort colossal. Face au manque de moyen, il faut se montrer inventif. Surtout pour des projets qui, comme le nôtre, veulent dire ce que produit la guerre en coulisses et comment le lien entre les humains peut en être l’antidote ou le remède ». Récompensé également à Cannes par un étonnant Prix groupé d’interprétation, Miguelraconte l’adoption par un jeune gay israélien, Tom, d’un garçonnet guatémaltèque, ainsi que la quête identitaire de ce dernier, une quinzaine d’années plus tard. Étonnamment, derrière ces productions très cinématographiques, comme dans le thriller drôlatique catalan Félix de Cesc Gay ou le très atmosphérique Mother de la coréenne Chung Seo-kyung, un même constat: l’absence ou la disparition d’une femme désoriente le monde et les hommes.
La voix du Nord
Pour sa huitième édition, sa première dans le Nord de la France, à Lille, sous l’étiquette de festival international officiellement décernée par les pouvoirs publics français (au terme d’un feuilleton politico-médiatique, pour le coup, faits de nombreux retournements) au nez et à la barbe de Canneseries, Séries Mania ne pouvait pas se payer le luxe de refuser les locomotives américaines. Soit, en l’espèce et en avant-première, les deuxièmes saisons de The Handmaid’s Tale et de Westworld, et la première de Succession, nouveau drame familial signé HBO. Mais comme pour sa voisine de calendrier cannoise, c’est l’international qui a eu la part belle. Neuf séries sur dix en compétition officielle, dix-neuf en panorama international. Rajoutons à cela les formats courts dont moins de 20 % provenaient du pays de l’Oncle Sam, les séances cultes et les tables rondes, l’atlas des séries revient à des proportions plus justes. Alors que Canneseries proposait des rencontres avec le gratin télévisuel français de ces dernières années (Bref, Bloqués, Serge le Mytho, Chérif, Le Bureau des légendes), l’événement Lillois lançait la question qui -potentiellement- fâche, « La révolution des séries françaises a-t-elle vraiment eu lieu? » Notre plat pays n’était pas en reste, plaçant Undercover de Nico Moolenaer en compétition officielle à Cannes et organisant, via la RTBF et la VRT, une journée « Coming Next From Belgium » chez les voisins des Hauts-de-France, qui a vendu les mérites des productions flamandes et francophones et créé des ponts entre les deux communautés. Mais une fois encore, le Nord scandinave a réussi à se réserver une bonne part de l’attention, tant le pouvoir d’attraction de ses séries, diffusées ou adaptées à l’échelle mondiale, ne semble pas vouloir faiblir. À Lille, l’actrice suédoise Sofia Helin (pour le lancement de la quatrième saison de Bron) a fait salle comble. Tandis que sur la Croisette, le Prix du meilleur scénario et celui de la meilleure musique ont été attribués à la norvégienne State of Happiness. Sans nécessairement révolutionner le genre, ce récit de la découverte du pétrole en Norvège au coeur des années 60 et de ses conséquences sur une bourgade ultra-conformiste, critique sociale teintée de romantisme, file une parfaite métaphore du gisement narratif sur lequel se pose aujourd’hui notre regard de spectateur.
Les succès récents de Casa del papel ou, plus anciennement, de Narcos, les adaptations des séries noires scandinaves, la montée en puissance, plus proche de nous, de la fiction française ou belge montrent que, face à l’hégémonie culturelle américaine, le reste du monde a une belle partition à jouer. Même si les séries donnent l’impression de ne pouvoir se passer, pour exister hors de leurs frontières, de Netflix ou d’Amazon. Encore que, même là, le succès en France du bouquet payant de chaînes cinéma et séries d’Orange, OCS, au catalogue extrêmement enviable, montre que d’autres modèles existent et ont tendance à ignorer superbement la petite musique triomphaliste des plateformes américaines.
Devançant de trois semaines le rendez-vous lillois de Séries Mania, en raison de la tenue du MIP (le marché international de la télévision) auquel il est adossé, Canneseries a offert une première édition un brin timorée et engoncée dans le glam que semblent exiger à tout prix les marches du Palais des Festivals. Une fois époussetées les paillettes, restait le plaisir de la nouveauté. Passons sur l’ouverture des festivités par un peu goûteux sneak peak (une bande annonce améliorée) de 35 minutes de La Vérité sur l’affaire Harry Quebert, adaptation par Jean-Jacques Annaud du roman de Joël Dicker, pour louer une sélection officielle plutôt alléchante, qui dévoilait la première expérience de showrunner de Gael García Bernal, la nouvelle et prometteuse série de la fabuleuse Phoebe Waller-Bridge, ainsi que les bonnes surprises Félix (Espagne), Mother (Corée), Il Cacciatore (Italie), Miguel et When Heroes Fly (Israël). Toutefois, avec un seul épisode pour juger de la qualité d’une série, on n’enviait pas le jury présidé par le romancier Harlan Coben, venu lui aussi présenter en avant-première sa nouvelle série à suspense Safe (hors competition). Les tables rondes de Michael C. Hall et Michael K. Williams, ont été passionnantes, les rencontres professionnelles (Canneseries Institute) ou de fans (Canneseries addict) ont posé les jalons d’un rendez-vous qui gagnera à dégrafer un peu son corset pour aller vers davantage d’audace. N.B
Séries Mania reste le patronAprès huit saisons à Paris, Séries Mania a désormais déposé ses valises à Lille. Une édition qui a pu réellement prendre son ampleur en multipliant les lieux de projection et d’événements pendant une semaine, aux quatre coins de la ville, là où tout était concentré en un seul emplacement à Paris. La diversité de la programmation, déclinée en plusieurs catégories, est sa grande qualité: compétition officielle d’avant-premières mondiales, panorama international, compétition française… Les séries russes, australiennes et italiennes ont fait leur entrée en grande pompe avec des surprises comme Il Miracolo ou An Ordinary Woman, toutes deux primées. Du côté des rencontres, le festival a oscillé entre productions populaires (Plus belle la vie, Capitaine Marleau) et conférences plus pointues (le réalisateur Jeremy Podeswa, le showrunner Carlton Cuse). Étaient invités Patrick Duffy, mémorable Bobby de Dallas, ou Sofia Helin, pour la dernière saison de Bron/Broen. Si le festival a mis plusieurs jours avant de trouver ses marques, notamment pour organiser les différentes files d’accès aux rendez-vous, l’ambiance conviviale est restée intacte. La preuve avec des évènements bon enfant comme un escape game spécial The Walking Dead ou un plateau télé revisité à la sauce Game of Thrones. Cette première lilloise est une réussite, avec toujours le plaisir de découvrir deux à trois épisodes de séries qui n’arriveront peut-être jamais jusqu’à nos écrans, faute de diffuseurs potentiels. S.M
Kiss Me First, de Bryan Elsley (Royaume-Uni).
Onze ans après Skins, Bryan Elsley offre une nouvelle pépite aux adolescents. Cette série britannique suit le destin de la jeune Leila, secouée par le récent décès de sa mère. Elle s’échappe de sa douloureuse réalité grâce à un jeu vidéo en ligne, au sein duquel elle rencontre une mystérieuse communauté de joueurs. Dans un mélange maîtrisé d’animation façon Sims et de prises de vues réelles, les personnages incarnent la désillusion d’une génération frappée d’un profond mal-être. Présentés dans la sélection du Panorama international, les deux premiers épisodes de Kiss Me First marquent indéniablement un propos sombre mais juste.
Nu, d’Olivier Fox (France)
En 2026, les vêtements sont interdits par la loi « transparence », supposément pour le bien de tous. Adieu mensonges, cachotteries et terrorisme. Frank se réveille d’un coma de huit ans dans ce contexte politique et social très différent du monde qu’il a connu. Les acteurs, tous hilarants, servent un scénario finement écrit, bien loin de toute caricature. Première création du scénariste d’Engrenages, Nu est une vraie série d’anticipation, drôle et ambitieuse, avec un fond engagé, inspiré notamment des attentats du 13 novembre. Cette production présentée en compétition française rend optimiste quant à l’avenir des comédies de ce pays.
On the Spectrum, de Yuval Shafferman et Dana Idisis (Israël)
Dans Sherlock ou Hannibal, les personnages autistes sont dépeints comme des héros aux capacités extraordinaires. On the Spectrum adopte habilement le point de vue inverse, en s’intéressant à la banalité du quotidien de trois jeunes adultes en colocation, tous « sur le spectre » de l’autisme. Grâce à son format de 20 minutes, cette série israélienne offre d’excellents moments de comédie et de touchantes scènes dramatiques. Sexualité, travail, rencontres amoureuses… Les situations sont multiples et universelles, incarnées par des personnages singuliers et complémentaires. Probablement la plus jolie découverte de la compétition officielle (Grand Prix du Jury Series Mania).
Ad Vitam, de Thomas Cailley (France)
Dans la droite lignée de Trepalium, Arte continue son exploration du futur en série(s) avec Ad Vitam. Dans une société qui prône la régénération cellulaire et la vie éternelle, un flic de 120 ans mène l’enquête autour d’un suicide collectif de mineurs. Créée et réalisée par Thomas Cailley (Les Combattants), Ad Vitam est une quête sensorielle, spirituelle et psychologique. Les excellents Yvan Attal et Garance Marillier (la révélation de Grave), forment un duo de choc, animé par la volonté de transmettre et un fort sentiment de révolte. La série, visuellement superbe, a illuminé la compétition officielle et donné un bon coup de fouet à la science-fiction française (Meilleure série française). S.M
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