Jacques: moins de bruit, plus de pop

"J'ai l'impression de faire partie d'une génération de gens talentueux rencontrés dans le milieu des squats et de la nuit qui sont maintenant des alliés infiltrés dans le business."
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Avec LIMPORTANCEDUVIDE, son premier album, Jacques délaisse l’électro bricolo pour la pop française moderne. Visite à domicile.

Dix-neuvième arrondissement. Cent mètres plus haut, une salle d’escalade, un magasin de vélos électriques et une ludothèque qui propose des ateliers de discours non violent pour les enfants. Cent mètres plus bas, des SDF à même le sol entourés et couverts de pigeons qui picorent le peu de bouffe qui traîne. Il est 9h30 du matin. Les volets s’ouvrent. Jacques Auberger passe la tête par la fenêtre, invite à patienter, dévale les escaliers et emmène de l’autre côté de la cour dans un petit deux-pièces. « Je vis dans l’appartement d’en face qui est celui de ma copine (Clémence Quélennec, pendant dix ans chanteuse de La Femme) . Il est aussi petit que celui-ci, où on a fait notre espace de travail. En tout, on doit avoir 50-55 mètres carrés. » Jacques est prêt à partir en résidence avec sa soeur et Clémence pour préparer la tournée. « Chacun jouera de plusieurs instruments. L’idée, c’est qu’à chaque fois qu’une règle s’installe, on la brise. Je veux m’amuser. Qu’il se passe des trucs. »

Après avoir fait le tour du monde puis s’être retiré au Maroc pendant quatre ans suite à un cambriolage (le deuxième, alors que sa mère a vendu des alarmes…), Jacques vient de sortir son premier album: LIMPORTANCEDUVIDE. Un disque de pop en français, grand public et sans complexe. Né le 18 décembre 1991 à Strasbourg, Jacques est un enfant du Do It Yourself. Son paternel, Étienne, bosse alors dans la publicité. « À l’époque, le daron panique pour faire du blé. Tu vois le slogan Lidl, moins cher? Ben, c’est mon père. Il a fait les meubles Atlas aussi. Il bypasse les grosses agences. C’était le moment où tu pouvais commencer à tout faire toi-même avec un ordi. Plus besoin d’un ingé son, d’un studio, d’un acteur, d’un coursier. Là, pif, paf, pouf, il envoie le mail. Il était un peu en mode filou. »

Avant ça, Étienne a chanté. Il a même eu un tube Ô Sophie au milieu des années 80. « Il voulait vraiment montrer à sa famille qu’il était capable de quelque chose d’extraordinaire. Il avait réussi sa mission à partir du moment où il est apparu à la télévision. Mais il s’est rendu compte que c’était un milieu de névrosés et que s’il fallait se le taper toute sa vie, c’était quand même une grosse concession. Le business était différent. Aujourd’hui, tu peux être plus indépendant. Dans ta bulle. »

Ainsi soit-il...
Ainsi soit-il…© Alice Moitié

Squat mic-mac…

Ado, Jacques a la guitare qui le démange. Fan d’Angus Young, des White Stripes, des Strokes et de Franz Ferdinand, il passe ses journées à grattouiller et à fumer des pétards dans la cave d’un pote. « Angus n’a que 3.000 followers sur Instagram. C’est dingue. Il n’est pas du tout actif. Il n’a pas passé le cap. Contrairement à David Gilmour de Pink Floyd qui en a quasiment un million. Moins d’arthrose sans doute… » Il craque aussi pour George Clinton, Funkadelic, Parliament, James Brown… Son groupe, RSK, pour Rural Serial Killer, essaie de faire du funk. « Et comme on est blanc, il sonne un peu comme les Red Hot… C’était vraiment pas top. »

Après avoir passé le bac, Jacques attend ses potes pour partir tenter sa chance à Londres mais déchante lorsqu’ils s’inscrivent dans des écoles à Paris. « Je les ai suivis. C’est là, par instinct de survie, que j’ai découvert le milieu du squat. J’avais des couches et des couches de conneries à me retirer de la tête. Je suis le seul à ne pas faire d’études. Je n’ai pas d’argent, pas d’appart, pas de boulot. J’essaie de bosser mais je n’y arrive pas. J’attends que mes potes rentrent de leurs cours et je dors sur le canap’. Heureusement, j’en ai une dizaine. Ça fait du turnover. Ils ont moins l’impression que je m’incruste. Après, je rencontre Franck, un clodo, dans le métro. Je l’ai hébergé chez mon pote. Chez ma meuf. Il était dans une mauvaise phase. Un peu héroïnomane. Il s’était séparé. Il n’était pas bien. Pour me remercier, il m’a filé les clés d’un endroit. Tu vas voir: ça va être chez nous. Il avait défoncé la porte d’une maison et remis l’électricité. Il m’a tout appris sur ce milieu-là: faire les poubelles, trouver de la bouffe… On avait 400 balles par mois. Son RSA.« 

Jacques se barre quand l’état de Franck et la situation se dégradent. « Je voulais l’emmener à l’hôpital. Je devais aller lui acheter du Subutex à Barbès pour qu’il ne devienne pas dingue. En plus, il avait un gun. Je n’étais jamais serein. Quand il a voulu trancher l’aorte de mon pote avec une scie, j’ai décidé de quitter les lieux. »

À sa deuxième tentative d’ouvrir un squat, Jacques crée le Point G. Les soirées Pain Surprises marchent un peu. « On avait choisi le nom en pensant à ces petits pains à la con dans les soirées de merde. L’idée, c’est de foutre le bordel. Attirer l’attention sur nous en vrai. Faire vivre une expérience de ouf aux gens aussi. Culture du happening. On avait acheté un faux flingue. On mettait en scène des meurtres. On voulait que les gens repartent choqués. »

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En parallèle, il ouvre un autre squat et commence à verser dans un underground différent. Il s’ouvre à d’autres styles de musiques, d’autres catégories sociales de gens. « Mes potes de Strasbourg étaient devenus mes potes bourgeois. Une distance s’est créée. Je passais du temps avec des gens qui avaient une vision du monde un peu plus dure. Un peu moins préservée. Et qui étaient déterminés à faire des trucs encore plus choc. De notre côté, on voulait révolutionner les soirées. Eux voulaient défoncer le système. Très vite les mondes s’entrechoquent. Mon rêve était de rassembler tout le monde. Je n’y suis jamais arrivé. »

Pain Surprises devient un label par la force des choses. Il signe un groupe, Jabberwocky, qui explose. « On se retrouve alors avec plein de pognon, à pouvoir se choper un bureau, un studio. On noue plein de contacts et je sors mon disque deux ans après. »

Vortex

La musique, Jacques a commencé à s’y atteler tout seul. Avec des bruits. « Les bruits, ça vient direct. J’y passe beaucoup de temps. Ce qui fait que maintenant, j’ai une lecture des sons tout en fréquence et tout en dynamique. Je vois bien ce qui fait d’un son ce qu’il est. Ça m’amuse. Ça me fascine. » Au début, Jacques utilise le feu et l’eau. Comme sur son premier morceau un peu bruitiste, La Tournure des choses. « J’aimais cette idée d’eau qui brûle. » Puis, il traîne sur freesound.org, un site internet rempli de sons, des captations amateurs de bruit. « Comme en plus, je m’étais imaginé un scénario de film… » Pour le live, pas vraiment excité par le fait d’avoir des bruits derrière des touches de clavier, le Français se met à utiliser des micros piézos. C’est la révélation.  » À partir de là, c’était parti. Je multipliais les boucles avec mon petit microcapteur. »

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Jacques fait danser avec des sons produits par de plus ou moins gros objets du quotidien qu’il secoue, gratte, frotte, fracasse. En 2016, son premier morceau chanté est entièrement composé de sons enregistrés dans la Maison de la Radio. « Le mec qui m’avait proposé le projet comme à Chassol et Flavien Berger venait de l’art contemporain. Il nous attendait sur quelque chose de très expérimental. Je me suis dit: obligé que je fasse un happening. Salut, je suis dans la radio. C’est pas tant de la blague qu’un écho à mon projet de recherche sur le vortex. J’avais envie de faire cette expérience. Un morceau qui parle du fait que je chante pour la première fois le fait que je suis dans la radio et que ça y passe. Le mec a pas aimé. Mais finalement, les deux autres morceaux plus personne ne les a écoutés. Dans la radio a eu une petite vie. Il est même devenu pendant un an ou deux le jingle de France Inter. »

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Jacques est fan de musiques répétitives mais avait déjà sorti Tout est magnifique (2015) quand il a découvert Pierre Schaeffer et Matthew Herbert… Les influences qu’on lui prête depuis. LIMPORTANCEDUVIDE (lire la critique) l’emmène sur d’autres traces. Plus pop, plus chanson française. Celles de son pote Flavien Berger, de Philippe Katerine, d’Hubert Lenoir, de Forever Pavot… « Ils me parlent mais mon disque est plus commercial que tout ça. Flavien est assez tamisé avec des paroles un peu plus cryptiques et des instrus moins péchues. Philippe Katerine est plus dégoûtant. Un peu repoussant. J’ai aussi ce côté mais moins je pense. Émile (de Forever Pavot, NDLR), c’est autre chose. C’est hyper niche. J’ai l’impression d’être un peu plus lisible et ouvert. Quand je rencontre des artistes de la scène, ce sont tous des gros snobs… Même Flavien. C’est mon pote mais c’est un gros snob. « Il y a des trucs qu’il ne faut pas faire. Des trucs qui ne sont pas bons. » Perso, j’ai pas du tout ça. Pour moi, le mauvais goût n’existe pas. On est en train de s’amuser. De quoi on parle? Moi aussi, je suis un snobinard quelque part. Mais la partie snob qui est en moi, celle qui dit « ça c’est too much », j’essaie de la faire taire. De ne pas lui donner d’importance. De ne pas filtrer. »

Ce disque, Jacques l’a fabriqué au Maroc où il a encore une grand-mère et où il s’est retiré avec Clémence. À 25 kilomètres d’Agadir « déjà la cambrousse » et cinq minutes en scoot de Taghazout, une espèce de capitale du surf. Là-bas, il a fait le disque de Salut C’est Cool, terminé des collabs avec Agoria et Superpoze. Il s’est mis à la 3D, à la cuisine, à écrire et à composer. « Je pensais y aller morceau par morceau et le Covid est arrivé. Du coup, je me retrouve avec plein de chansons qui maintenant forment un album. J’ai toujours fait des textes et de la zik à texte. C’est juste que j’ai sorti un EP un peu expérimental qui a marché. Il y a toujours eu un décalage entre ce que je suis vraiment et ce que les gens connaissent de moi. Je ne me suis jamais empressé de le dissiper. »

À contre-courant

« Je suis content quand il ne se passe rien. Au moins, il ne se passe rien de mal« , chante-t-il sur La Vie de tous les jours. Angoissé Jacques? « C’est une phrase qui parle de se réjouir de peu. Les journées où il ne se passe rien de mal et c’est déjà bien. Parce qu’il y a des gens pour qui ça va mal tous les jours. Moi, j’ai le luxe de ne pas être angoissé. Je n’ai pas de raison. J’ai du fric. Et dans la vie, à partir du moment où tu as du fric, tu as beaucoup moins d’angoisses. »

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L’Alsacien qui a la coupe à l’envers de De Niro dans Taxi Driver parle de son inadéquation avec l’industrie. « On travaille pour Instagram, YouTube, Spotify. On est des espèces d’ambassadeurs. Notre participation à ces boîtes n’a rien de mal en soi. C’est juste que parfois, elle devient paradoxale quand tu suggères dans tes morceaux une certaine vision du monde, un certain futur. Tu te retrouves à être un idiot utile. Je pense que j’en suis un mais j’en suis conscient. Et quand tu fais quelque chose et que tu en as conscience, tu fais déjà autre chose… »

Le jeune trentenaire a du mal quand Google et Insta matérialisent les concepts… « Ils essaient de faire descendre dans la matière des concepts purement spirituels. À savoir l’immortalité, l’omniscience… Il y a une erreur de base dans tout le délire transhumaniste. Ces gens essaient de s’approprier à l’échelle individuelle des atouts communs à l’humanité. Nous sommes immortels, omniscients et omniprésents collectivement. Et eux essaient de matérialiser ça à l’échelle d’un individu. C’est extrêmement dangereux. Sous couvert de curiosité, ils sont en train de s’autodétruire. De nous autodétruire. »

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Sur son disque, Jacques cause vite fait de trucs qui le touchent et laisse les gens venir à lui avec leurs interprétations. Il n’est pas encore dans un positionnement énervé contre le business. « Mais si tu déroules le fil de ma pensée, ça reste subversif. En substance, le fait d’être optimiste aujourd’hui, c’est déjà de la subversion. Je suis à contre-courant malgré moi. Notamment sur l’alcool. »

Il avoue que comme il n’en boit pas, voir tout le monde foncedé et bourré aux concerts, ça le fait un peu chier. « Je vois bien qu’il n’y a pas d’autre business plan possible. Mais l’alcool est un fléau. Il va à l’encontre du bon sens. Ça nous fout dedans. Les viols, les meurtres… Je pense que les gens bourrés, c’est 90% des interventions de la police. »

Avant, il buvait tous les week-ends. Maintenant, c’est tout le concept du week-end qu’il refuse. « Tout ce qui sépare. Toi t’es artiste, toi tu l’es pas. Là, c’est les vacances. Là, c’est le travail. C’est pas du tout fluide. On n’accepte pas les changements de trajectoire. Alors que l’humain est fait pour avancer, ça circule mal. C’est la somme de toute la rouille qu’on a accumulée. Ça va aussi avec la diabolisation de l’individualisme. Aujourd’hui, si tu penses à ta gueule, t’es un connard. C’est de la connerie. Évidemment qu’il faut penser à soi. Ça doit être la priorité de chacun. C’est même inscrit. S’il fallait penser aux autres, tu serais les autres. Mais t’as été téléchargé dans ce corps-là. On est toujours en train de faire plaisir aux parents, aux potes, au regard d’autrui. Ça fout tout le monde dans des dispositions pourries. Après, tu pètes des câbles et tu as besoin de te teaser la gueule. On ne maximise tellement pas notre esprit. C’est un scandale. »

LIMPORTANCEDUVIDE, distribué par Recherche & Developpement. ****

Le 12/05 au Botanique et le 14/07 à Dour.

Jacques: moins de bruit, plus de pop

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