Forever Pavot, bien dans ses pompes

© CORENTIN FOHLEN
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Avant les concerts de Forever Pavot au Bota et en banlieue lilloise, Émile Sornin raconte sa Pantoufle, les écueils du concept album et sa collaboration avec Charlotte Gainsbourg.

« Ça va? C’est pas trop piquant? Si vous voulez, je vous donne le piment frais comme on le mange nous, en Thaïlande… » Paris, Xe arrondissement. À deux pas de la Gare de l’Est. Le studio de répète de Forever Pavot est tellement petit qu’Émile Sornin a fixé rendez-vous dans l’asiatique où il casse la croûte avec ses musiciens, entre la séance d’entraînement du matin et le live de l’après-midi à la FIP, la station musicale éclectique du groupe Radio France. En novembre dernier, Forever Pavot sortait La Pantoufle. Disque cinématographique sans son film. Concept album qui n’en est pas vraiment un. « Au départ, je voulais fabriquer un disque avec une histoire, raconte le moustachu à la longue tignasse pendant que ses acolytes terminent de se nourrir. Je ne savais pas très bien quoi. Puis mon frangin m’a rappelé une vieille anecdote. On était en vacances chez mes grands-parents, dans un village de la région rouennaise, et un matin, j’ai perdu une pantoufle. Toute la famille s’est mise à chercher. Dans la maison, dans le jardin. Ça a duré assez longtemps. Je me souviens m’être fait engueuler. Je devais avoir six ou sept ans. On l’a retrouvée quelques jours plus tard sous un lit ou derrière un rideau. Mais pour qu’on me foute la paix sans doute, j’avais prétendu qu’elle était dans le puits. »

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Émile se met en tête d’utiliser la charentaise comme fil rouge. De l’humaniser même. « Je voulais créer un truc un peu absurde et rigolo. Avec un tueur en série, un suicide, une réincarnation des chaussons en talons aiguilles qui faisait d’eux une espèce de transsexuel. » Le Parisien d’adoption parvient à écrire deux chansons mais très vite, l’idée lui apparaît bancale. L’exercice compliqué. « J’aimais beaucoup La Pantoufle dans le puits . Son univers. Mais le deuxième morceau me dérangeait. Il y avait une chronologie. Ça devenait grossier. Du coup, j’ai abandonné l’idée. J’ai réécrit. De toutes façons, mes chansons sont comme des petites scènes de films. » Chacun y entend ce qu’il veut y entendre et y va d’ailleurs de ses propres interprétations. « Plein de gens me disent: ah, c’est bien, il y a une histoire. Alors, là, c’est le passage où la pantoufle a rencontré une fille. Ils font l’amour… Euh, non. Ce sont juste des ambiances différentes. Mais tant mieux si ça titille leur imaginaire. »

Clippeur pour Disclosure, Dizzee Rascal, Alt-J, Émile Sornin emmène dans un film pour enfants (The Most Expansive Chocolate Eggs), un flippant conte de fées (la fin de La Pantoufle est dans le puits) et le commissariat de police d’un vieux polar (Hutre). Il offre même une scène torride (couvrez les chastes oreilles), suivant de tout près les ébats de Jonathan et Rosalie. « Sur le premier album, Rhapsode , il y avait une chanson intitulée Joe & Rose . C’est la même grille d’accords, le même thème que j’ai réarrangés de manière un peu soul jazz suintant… Dans tout ce que je fais, il y a des références au cinéma bis, au cinéma z. Et la musique de films érotiques, c’est vraiment quelque chose d’ancré en chacun de nous. Il y a le charme de la musique mais aussi de la voix, de la pellicule… Il n’y a rien de plus crade qu’un film de cul sur une VHS. Puis, les claviers un peu chelous, j’adore. »

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Son petit intermède sexuel est aussi un clin d’oeil à Gainsbourg. La Pantoufle renvoie directement à l’Histoire de Melody Nelson et à L’Homme à tête de chou… Amusant quand on sait qu’Émile a participé au dernier album de Charlotte. « J’ai travaillé avec SebastiAn qui l’a produit. Il nous a vus jouer. On a une copine en commun. On s’est recroisés. Un jour, il m’a envoyé un message. Tu veux bosser sur l’album de Charlotte Gainsbourg? Ah ouais. Carrément. À fond. Il m’a envoyé un morceau. J’ai essayé plein de trucs. Il m’a dit: j’adore. Vas-y, on fait tout l’album ensemble. On a bossé sur plein de chansons. Et au final, il y en a six sur lesquelles je suis intervenu. Dont un titre qui a été écrit par Paul McCartney. C’est plutôt cool. »

Sornin aurait de son propre aveu du mal à autant se livrer dans les disques de Forever Pavot que la fille Gainsbourg sur Rest« Dans mes petites histoires absurdes, il y a néanmoins quelque chose de très intime quelque part. Il y a mes racines. Je suis né à La Rochelle, en Charente-Maritime. Il y a pas mal de patois. De l’argot de Poitou-Charentes. Comme la grolle. Tout le monde pense à la chaussure mais chez nous, c’est le corbeau. Et pendant la guerre, ils faisaient des soupes de corbeau quand il n’y avait plus rien à bouffer. Il y a aussi deux ou trois expressions par-ci. Des cauchemars, des histoires que j’ai entendues et remaniées par-là. »

Plus pop, moins niche…

Forever Pavot, bien dans ses pompes

Inspirée par une peinture de Mozart et de son père, la pochette de l’album est l’oeuvre aux crayons de couleur de Catherine Hershey. Une Française installée à Bruxelles. Chanteuse, illustratrice, graphiste qui participe d’ailleurs à deux morceaux du disque. « Au départ, j’ai fait référence à des affiches de films. De films noirs. Claude Sautet, ce genre de bazar. Des films d’espionnage un peu seventies. Les giallos aussi, ces films d’horreur italiens. C’est parti sur une direction qui ne me plaisait pas. Du coup, je lui ai parlé d’une peinture de Mozart et de son père. Je trouve que ça va bien avec le côté un peu baroque de ma musique et du disque. J’adore les vieilles toiles de maîtres. Encore davantage quand elles sont en rapport avec la musique. À La Villette, tu as le Musée des instruments. Tu en as énormément. De 1 000 avant JC jusqu’à aujourd’hui. Mais tu as aussi plein de peintures avec des gens qui jouent de la harpe, du clavecin… Je trouve ça magnifique. Dans ces oeuvres, il y a un truc super flippant et étrange aussi. Les regards droits, inexpressifs. Entre le neutre et le hanté. »

Forever Pavot, lui, est à la fois possédé et libéré. « J’ai le sentiment d’avoir donné autre chose. Un truc plus pop. Moins niche aussi. Plus ouvert. Plus jazz. J’ai parfois l’impression que c’est mon premier véritable album. La paternité m’a décomplexé, j’ai l’impression, sur pas mal de plans. Notamment le chant en français. Disons que j’en ai un peu moins à foutre du regard des autres… »

La Pantoufle, distribué par Born Bad Records. ****(*)

Le 13/03 à la Rotonde (Botanique) et le 14/03 à la Ferme d’en haut (Villeneuve d’Ascq).

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