Un taxi pour l’enfer: Steve Schapiro commente ses photos de Taxi Driver
Photographe sur le tournage du film culte de Martin Scorsese, Taxi Driver, Steve Schapiro dévoile des clichés inédits dans un livre et une exposition. Il nous en commente quelques-uns, les plus brûltants. Action!
Taxi Driver, photographies de Steve Schapiro, édition limitée. Taschen, 328 pages. Exposition à la Taschen Gallery, place du Grand-Sablon, à Bruxelles, jusqu’au 1er janvier 2011.
ARE YOU TALKIN’ TO ME?
« Pour cette scène devenue célèbre, Scorsese a demandé à De Niro d’improviser devant le miroir (la phrase semble être empruntée à Bruce Springsteen, qui la prononça lors d’un concert auquel assista l’acteur, ndlr). La réplique « Are you talkin’ to me? » est anecdotique par rapport au sujet du film. Beaucoup pensent qu’il s’agit de l’histoire d’un loser qui devient justicier. C’est tout le contraire. Ici, Travis Bickle met en scène sa mort. C’est un homme seul. A bout. Qui décide de nettoyer la ville en y laissant sa peau, afin de passer pour un martyr. A la fin, il veut se tirer une balle dans la tête, mais il n’a plus de munitions. Quand les secours le trouvent en sang, et que, l’index sur sa tempe, il mime un coup de feu, c’est, pour lui, un échec. Celui, également, du scénariste Paul Schrader qui a écrit Taxi Driver en 15 jours avec un flingue chargé sur la table, bien décidé à se tuer une fois le script fini et qui n’en fera rien. »
DOS AU MUR
« J’adore cette photo car elle résume parfaitement Martin: un homme qui aime le sang et les tripes, et qui, élevé dans un milieu catholique, voulait devenir prêtre. Cette image est une de ses préférées. Ce n’est pas étonnant: elle évoque involontairement le martyre. Cadrée ainsi, avec ce cadavre au premier plan, on sent le plaisir qu’il prend à diriger cette tragédie. La photo est en couleurs pour faire ressortir l’émotion viscérale. Le noir et blanc exprime une énergie différente, plus intérieure. Là, on est dans le brutal et le frontal. »
DUO SUR CANAPÉ
« On dirait un tableau d’Edward Hopper! Je n’en suis pas peu fier! D’autant que rien n’est évidemment posé. Martin a mis un temps infini à venir à bout de ces séquences finales. La tension était à son paroxysme. C’est pourtant le seul moment du tournage où on a rigolé. Il fallait dédramatiser la violence. Cette photo est en osmose avec le travail de Martin. Elle est de moi, mais elle dépend avant tout de son regard. »
LA GRAPPE ET LE CANON
« Pendant un tournage, je fais toujours un cauchemar récurrent: je m’absente une heure du plateau et je rate l’image essentielle; du coup, je ne pars jamais. Cette photo est magique et je passe mon temps à chercher un moment pareil. Martin explique à De Niro comment tenir son flingue et en oublie la grappe de raisin qu’il s’apprêtait à manger. Le contraste entre l’arme et le fruit apporte une dimension singulière dont Scorsese n’a absolument pas conscience. De toute façon, il ne pensait à rien d’autre qu’à son film. »
UN IROQUOIS DANS LA VILLE
« Les rues de New York en 1975. Près de Central Park. Dans 50 ans, ce décor, déjà différent aujourd’hui, n’aura plus rien à voir. C’est presque une photo documentaire. Avec un personnage au look étrange. A ce propos, je vais décevoir beaucoup de monde, mais De Niro porte un postiche, même s’il s’était réellement rasé le crâne. Il aurait volontiers assumé cette crête hors du plateau, mais, pour respecter les raccords entre les prises, Scorsese préférait la perruque. Avant le tournage et pendant un mois, De Niro a passé toutes ses nuits à conduire un taxi new-yorkais. Quand il est arrivé sur le plateau, il était Travis Bickle. L’équipe l’a vu se métamorphoser au fil des scènes jusqu’au basculement final. Il mettait un soin obsessionnel à construire ses personnages. Physiquement et mentalement. Ce n’était plus une interprétation, mais une performance. »
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