Rencontre avec Sam Millar, le « good bad guy »

Sam Millar, le "good bad guy" du polar irlandais. © MATTEO CESCHI
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

Sam Millar, une des grandes plumes du polar, ancien membre de l’IRA et ex-braqueur de fourgon, règle quelques comptes avec son nouveau roman à l’humour noir typique du cru.

Belfast, le soir d’Halloween. Charlie, Jim et Brian, trois braqueurs pour autant de bras cassés, plus intéressés par leur collection de comics ou les citations de films que par la préparation de leur cambriolage, pénètrent dans la Bank of New Republic, deux heures après qu’un fourgon de la Brink’s en a vidé les coffres. Ils se contenteront donc du sac que portait un client patibulaire. Bonne nouvelle: le sac contient un demi-million de livres. Mais mauvaise nouvelle: le client fait partie de la Fraternité pour la liberté irlandaise, une organisation qui tient du gang plus que de l’IRA. Ajoutez à ce cocktail déjà explosif des flics parfois pourris, des ex-taulards, des agents doubles et des psychopathes, tous touchés par « L’Alzheimer irlandais » – « On oublie tout, sauf la vengeance » – et vous obtenez le dernier Sam Millar, qui sent le sang, la pinte et l’accent gaélique. Un polar pur jus à l’humour très noir.

Mais qu’on ne s’y trompe pas: plus que bien d’autres, Sam Millar sait de quoi il parle. En particulier quand il évoque -pour la première fois si frontalement- l’IRA: il en fut un membre actif, ce qui lui valut plusieurs séjours au pénitencier anglais de Long Kesh. Et quand il nous plonge au coeur du braquage d’une banque: en 1993, après s’être exilé aux États-Unis, Sam Millar participa au casse de la Brink’s de Rochester, un fameux braquage de fourgon qui l’envoya pour sept années en prison. Autant d’expériences nourrissant sa carrière d’écrivain, qui l’occupe aujourd’hui à plein temps. Un tueur sur mesure est son septième roman publié en français.

Rencontre avec Sam Millar, le

Si l’on excepte la scène d’introduction, très éprouvante, on a le sentiment que ce Tueur est votre livre le plus « humoristique ». Avez-vous le sentiment qu’il est très différent des précédents?

Il y a beaucoup d’humour très noir dans celui-ci parce qu’il était à l’origine basé sur une histoire vraie, qui a coûté la vie à deux de mes amis. L’histoire d’un agent double de l’armée anglaise qui avait infiltré l’IRA, un psychopathe et un lâche qui a exécuté de nombreux camarades et qui était même devenu l’ami personnel de Gerry Adams, le dirigeant du Sinn Féin (l’agent « Stakeknife », de son vrai nom Freddy Scappaticci, qui fait aujourd’hui l’objet d’une vaste enquête parlementaire, NDLR). Mais quand j’ai présenté le livre à mon éditeur, puis à d’autres, personne n’a eu assez de cran pour le publier comme une oeuvre de non-fiction. J’ai donc fondu le tout dans un pur récit de fiction avec beaucoup d’humour comme en avaient mes amis… Et tous les Irlandais y reconnaissent les vrais personnages et les vrais événements. Et puis c’était aussi le premier roman dans lequel j’évoque l’IRA. Je me l’étais toujours interdit, sauf dans On the Brinks (son seul vrai récit autobiographique, paru en 2014 chez Points, NDLR). Autant que ce soit dès lors un vrai polar irlandais, auquel j’ai ajouté mon propre sens de l’humour noir et du grotesque. Seuls les Irlandais peuvent faire une blague sur un copain qui s’est fait tirer dessus!

L’écrivain et éditeur Patrick Raynal est votre traducteur en français depuis toujours, et celui qui vous a fait connaître en France. Un même goût pour le roman noir et social?

Patrick est devenu un ami proche, et je lui dois vraiment beaucoup. Mais à notre première rencontre, chez mon éditeur à Dublin, j’ai cru que c’était un assassin venu là pour me tuer. Vraiment! À l’époque, j’étais régulièrement menacé de mort par les Anglais. Ça l’a beaucoup fait rire. Sinon, comme lui, je crois que je préfère écrire sur des bad guys qui peuvent devenir bons. Je les appelle des  » good bad guys ». Un peu comme moi!

Les comics jouent un rôle important dans le roman et vous avez vous-même tenu une boutique à New York. Toujours fan?

Je suis complètement addict! Mes chats et eux, je les aime plus que ma femme et mes enfants. Là, je viens de convertir mon garage en mini-librairie spécialisée, exactement comme celle que j’avais dans le Queens. Les comics m’ont sauvé la vie quand j’étais un petit garçon grandissant à Belfast.

À propos de New York, vous êtes toujours interdit de territoire américain?

Hélas pour moi, je suis banni à vie depuis la grâce que j’ai reçue de Bill Clinton. C’est une punition terrible, je ne pourrai plus jamais y retourner, mais au moins je suis de retour à Belfast, avec femme, enfants, chats et comics.

Quand on lit votre description d’un braquage, on ne peut s’empêcher de penser que vous savez de quoi vous parlez…

Depuis On the Brinks, plein de banques m’ont contacté pour parler de leurs systèmes de sécurité et pour savoir comment je m’y prendrais pour les dévaliser. Un homme avisé a dit un jour qu’il ne faut écrire que sur ce que l’on connaît, j’imagine que ça me concerne aussi… Mais croyez-moi, j’ai aussi 7 000 bonnes raisons à donner de ne pas braquer une banque.

Belfast est elle-même un véritable personnage de votre roman. Est-elle vraiment aussi chaotique que ce que vous décrivez ici?

J’ai une relation d’amour/haine avec Belfast. Ses habitants sont géniaux, mais ses politiciens sont la lie de la terre. Ils utilisent la religion et la peur pour diviser une population qui a un grand coeur et qui a toujours été ouverte aux autres -il n’y a qu’entre nous que l’on est pas sympas!

Un tueur sur mesure, de Sam Millar, éditions Métailié, traduit de l’anglais (Irlande) par Patrick Raynal, 280 pages. ****

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