JEUNE METTEUR EN SCÈNE « ORFÈVRE », SALVATORE CALCAGNO RÉFLÉCHIT EN COULEURS ET PARTITION, CORPS ET GESTES. IL CRÉE SON 2E OPUS, LE GARÇON DE LA PISCINE ET REPREND SON « TUBE » LA VECCHIA VACCA.

A 24 ans, le metteur en scène belgo-sicilien Salvatore Calcagno possède déjà un style saisissant, baroque et sobre à la fois, esquissant le Sud (italien) où Visconti, Fellini, Pasolini sont des nourritures artistiques. « Visconti pour son souci du détail, Fellini son côté « taré », Pasolini sa façon de filmer le corps -genre le sexe- à travers un jeans. »

D’ailleurs, dans Le Garçon de la piscine -entraperçu en répétition-, une bande de jeunes (filles et garçons), sur une place ensoleillée, sont tous en jeans et t-shirt blanc. Ils sont scotchés les uns aux autres, s’enlaçant et se bousculant -peu importe, c’est la même affection. C’est qu’ils regardent vers une caméra invisible et répondent à des questions (« C’est quoi pour vous, une belle vie?« ). « Face caméra », ils tournoient, fument et fabulent dans la petite déconne qui ne s’avoue jamais. Balancent des: « L’amour, c’est délicat », « Les filles, c’est toutes des putes », « Faut se faire respecter ». Ils friment aussi sur « leurs » histoires: des études à Harvard, des anecdotes triviales de meufs chaudes accrochées aux rideaux. Ils ont entre douze et quatorze ans et zonent sur la place publique. On dirait les petits frères 2014 d’Accattone de Pasolini. « Le titre Le Garçon de la piscine est une figure, explique Salvatore Calcagno. Pour moi, quand on dit: « Andiamo alla piscina », je vois la notion de liberté. Pourtant, j’ai eu envie de parler des gens inertes, ceux qui restent « éternellement » assis sur une place, sans souci d’aller voir ailleurs. Une bande de « caïds »: un univers visible en Sicile comme à Charleroi. Je voulais mettre en lumière cette inertie et leurs désirs en faisant le portrait d’une place publique. En face d’eux, les spectateurs, que j’ai envie d’installer dans un rapport de voyeurisme, entre la gêne et le plaisir -d’où l’idée que les acteurs regardent le public comme ils regarderaient une caméra qui les suit et les filme. L’idée qu’une tension éclate. »

Entre la Rai et l’Insas

Né en 1990 à La Louvière (avec des allers-retours en Sicile), dans une maison connectée à la « RAI », Salvatore Calcagno s’inscrit à l’Insas en ayant vu à peine deux pièces de théâtre dans sa vie -et encore: « Avec l’école, c’était des trucs classiques et longs, genre Le Bourgeois gentilhomme où je m’endormais. J’aimais la musique, que j’apprenais à l’académie -chant, piano, guitare-, mais aussi l’univers des costumes que je voyais à la télé -un défilé de mode pouvait m’intéresser. Et donc on m’a dit que le métier de metteur en scène pouvait recouvrir tous ces univers. Le deal avec mes parents s’est fait comme ça: si je réussissais l’examen d’entrée de l’Insas, je pouvais poursuivre; si pas, je ferais des études littéraires ou du droit. J’ai réussi: c’est aussi bête que ça, mon entrée au théâtre. »

On repère l’artiste en 2013 avec sa toute première sortie –La Vecchia Vacca, sur la relation mère-fils- présentée aux Tanneurs, glissée parmi d’autres spectacles dans le cadre d’une carte blanche à Armel Roussel, qui invite là son ancien élève. Le spectacle impressionne par sa maturité artistique. On écrivait alors: « Sur scène, ambiance « Bello di mamma ». » Trois femmes (italiennes) dans une cuisine en formica: le fils survivra-t-il à l’imposant « amour » maternel? Plus poème que suspense: comme un rôle éternel. Dans le sillage des trois grâces à la grimace sexy, on glisse dans le fantasque avec des scènes d’anthologie -celle d’un allaitement insensé, ou encore celle voyant nos trois belles harpies se repoudrer, papotant les nerfs à vif parce que le fils « fréquente » -forcément « une pute ». Des scènes évoquées, loin de la narration, qui font vite comprendre l’italien! Des interprètes vertigineux, des personnages fabuleux, de superbes entrées de scène. Un théâtre de gestes, d’une beauté discrètement féroce. La Vecchia Vacca (La vieille vache) est un diamant noir et un hommage à sa mère « qui a beaucoup ri du spectacle », précise Salvatore, qui poursuit (âmes sensibles s’abstenir): « J’avais l’idée de travailler sur une vache qui n’a plus de lait. Du coup, j’ai pensé au personnage maternel, aux seins qui pendent. C’est le début du drame: il n’y a plus de lait et tout explose. Dans Le Garçon de la piscine comme dans La Vecchia Vacca, je suis encore dans l’exploration de mon langage artistique. Pour moi, les sensations, les corps et les images sont plus forts que les mots. Qu’est-ce que le corps raconte? Qu’est-ce que le regard raconte? Je ne suis pas auteur de textes. J’écris mes pièces comme des partitions et des couleurs dans lesquelles j’essaye d’amener les interprètes à travers une réalité vécue que je décale avec des personnages, des univers et des situations que je préfère sublimer à fond. »

Spectacle singulier, plusieurs fois primé, La Vecchia Vacca circule dans une tournée (France, Montréal…), lançant la carrière encore fragile de Salvatore Calcagno. Ainsi, au lendemain de notre interview, les Inrocks débarquaient rencontrer l’artiste. Des programmateurs (d’Edimbourg, de Montréal, d’Avignon IN) sont annoncés pour découvrir Le Garçon de la piscine. Le stress monte à quelques jours de la première. « J’essaye de ne pas y penser, sinon ça me bloque« , confie le jeune metteur en scène qui, généralement, « cuisine pour décompresser » et avoue -sans blague- « manger des pâtes tous les jours« …

LE GARÇON DE LA PISCINE DU 9 AU 13/12, LA VECCHIA VACCA DU 16 AU 20/12. WWW.TANNEURS.BE

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