Monstres, animation… Les cinq tendances du Festival de Cannes 2024

Anora, la Palme d’or signée Sean Baker. © Augusta Quirk
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Finalement assez épargnée par les polémiques, la 77e édition du festival 
de Cannes a couronné l’enthousiasmant Anora de Sean Baker. Bilan cinéphile 
en cinq tendances-clés.

Pendant la quinzaine cannoise, nos envoyés spéciaux ont commenté au jour le jour les films des différentes sélections. Retrouvez tous leurs commentaires film par film.

1. Passage de témoin

Alors oui, d’accord, certains grands maîtres ont amèrement déçu en Compétition. Megalopolis, le projet fou rêvé par Francis Ford Coppola (85 ans), semble essentiellement avoir été dialogué par un mauvais dictionnaire des citations bloqué en mode aléatoire malgré quelques fugaces fulgurances. Son compatriote Paul Schrader (77 ans) n’a guère fait mieux avec Oh, Canada, adapté de Russell Banks. Quant au Canadien David Cronenberg (81 ans), il a assurément livré avec The Shrouds l’un des plus gros ratages du festival, toutes sections confondues. Mais la relève est là, et elle fait plaisir à voir! Ainsi, bien sûr, de l’Américain Sean Baker, incontestable Palme d’or pour Anora, anti-Pretty Woman à l’énergie folle et à l’humour ravageur où pointe un désenchantement d’une rare pertinence. Ainsi aussi et notamment de la jeune et talentueuse réalisatrice indienne Payal Kapadia, non moins indiscutable Grand Prix du jury, qui a illuminé cette édition de sa délicatesse avec All We Imagine as Light, drame sensible qui entremêle trois destins de femmes aux existences entravées par le poids des traditions et des déterminismes.

All We Imagine as light © DR

2. Monstres & cie

« Merci au jury de laisser rentrer les monstres », déclarait triomphalement Julia Ducournau au moment de recevoir sa Palme pour Titane en 2021. C’est peu dire que, sur ce point, elle a été entendue. Cannes 2024, en effet, semblait avoir été placé sous le signe de la monstruosité et des métamorphoses. Illustration la plus marquante avec The Substance, le deuxième long métrage de Coralie Fargeat, autre preuve enthousiasmante de la vitalité de cette édition. Couronné du Prix du scénario (une aberration en soi pour un pur objet de mise en scène, mais au moins la récompense est là), le film embarque le spectateur dans un grand huit cinématographique ultra gore et assez fou où le corps se dévoile et s’expose dans tous ses états. Naissance quasi vampirique de la créature Trump dans le très bon The Apprentice d’Ali Abassi (également en Compétition), mutation étrange d’une Indienne punk dans Sister Midnight de Karan Kandhari (à la Quinzaine des cinéastes), nouvelle variation de body horror au féminin dans Animale d’Emma Benestan (à la Semaine de la critique)… Drôle, terrifiant ou parfois même inspirant, le monstre était absolument partout cette année à Cannes.

The Substance, de Coralie Fargeat. © Universal Studios

3. L’animation en force

Cela faisait seize ans qu’un long métrage d’animation n’avait pas concouru pour la Palme d’or à Cannes -c’était pour le marquant Valse avec Bachir d’Ari Folman, en 2008 donc. Dommage que ce rare privilège soit cette fois revenu à l’indéfendable nouveau long métrage de Michel Hazanavicius, La Plus Précieuse des Marchandises, film honteusement raté qui finit par se vautrer dans un pathos indigne pour évoquer le spectre de la Shoah. Mais, chose ô combien réjouissante, le cinéma d’animation était plus que jamais présent en force sur la Croisette cette année. Sauvages de Claude Barras et Angelo dans la forêt mystérieuse de Vincent Paronnaud et Alexis Ducord en séances spéciales, Flow de Gints Zilbalodis à Un Certain Regard, Ghost Cat Anzu de Yôko Kuno et Nobuhiro Yamashita à la Quinzaine, Slocum et moi de Jean-François Laguionie et Silex and the City de Jul et Jean-Paul Guigue au cinéma de la plage… À quoi il s’agit encore d’ajouter la très belle Palme d’honneur remise au formidable studio Ghibli. Une juste reconnaissance pour un type de cinéma encore trop souvent snobé par les grands festivals internationaux.

Ghost Cat Anzu © DR

4. Une France rurale

Qu’il semble loin le temps où les enjeux du cinéma d’auteur français semblaient désespérément circonscrits aux murs des éternels appartements parisiens. Paysages montagnards du Haut-Jura dans Le Roman de Jim des frères Larrieu (Cannes Première), désirs et mystères lovés au cœur d’un petit village ardéchois dans le très réussi Miséricorde d’Alain Guiraudie (Cannes Première), ambiance de film de loup-garou dans le milieu singulier de la tauromachie en Camargue dans Animale d’Emma Benestan, émois adolescents branchés sur l’adrénaline propre au motocross dans un bled du Maine-et-Loire dans l’irregardable La Pampa d’Antoine Chevrollier (Semaine de la Critique)… Sur les écrans de Cannes, l’Hexagone s’arpentait résolument loin des étouffoirs citadins. Preuve encore dans l’une des plus belles surprises du festival: le super premier long métrage de Louise Courvoisier, Vingt Dieux, légitimement récompensé du Prix de la Jeunesse dans la section Un Certain Regard. Tourné dans le Jura, le pays du comté, le film fait le portrait d’un irrésistible pied nickelé orphelin qui découvre les responsabilités et l’amour vrai.

Miséricorde, d’Alain Guiraudie © DR

5. En avant la musique

Repris par Zaho de Sagazan en ouverture du festival, puis cité par Gaël Morel dans Vivre, mourir, renaître (Cannes Première) mais surtout par un Leos Carax inspiré dans C’est pas moi (Cannes Première), le Modern Love de David Bowie aura au fond été le tube de cette 
77e édition. Laquelle aura indéniablement fait la part belle au chant et à la danse. Voir, notamment, l’irritant Marcello Mio de Christophe Honoré mais surtout Emilia 
Perez de Jacques Audiard (lire aussi l’interview de Zoe 
Saldana, page 12), comédie musicale gonflée orchestrée avec l’aide de la chanteuse Camille et son compagnon, le compositeur Clément Ducol. Voir également le très inégal nouveau long métrage de Gilles Lellouche, L’Amour ouf, qui s’offre une électrisante parenthèse chorégraphiée à la West Side Story sur A Forest de The Cure. Mais la plus belle séquence du festival, on y revient, se trouvait sans doute dans le générique de fin du susnommé C’est pas moi de Carax. On y voit Annette, le pantin de son précédent film, rejouer la scène culte de Mauvais sang où Denis Lavant court, saute et danse avec une énergie folle sur le fameux Modern Love. Et ça, vraiment, si ce n’est pas la pure magie du cinéma…

C’est pas moi, de Leos Carax. © DR

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