Megalopolis, le film fou que Francis Ford Coppola projette depuis 40 ans

Est-ce que les interprétations d'Adam Driver et de Nathalie Emmanuelle participeront au succès de Megalopolis?

Il a déjà deux Palmes d’or à son compte, pour The Conversation et Apocalypse Now. Aujourd’hui, à 85 ans, il tente le coup pour une troisième, avec un film qui semble aussi mégalomane que son titre. Avec Megalopolis, Francis Ford Coppola sera-t-il 
le triomphateur ou la risée de Cannes?

Le Napoléon de Stanley Kubrick? Le Dune d’Alejandro Jodorowsky? Ou plutôt Kill Bill: Vol. 3 de Quentin Tarantino? Le débat sur le Plus Grand Film Jamais Réalisé s’est récemment simplifié: contre toute attente, Megalopolis est sorti de la course au titre. À un âge avancé, Francis Ford Coppola a décidé de revenir sur le devant de la scène et d’investir la fortune qu’il a engrangée grâce à ses domaines viticoles dans la réalisation d’un rêve qu’il traîne depuis plus de 40 ans: Megalopolis.

La première mondiale du film sera l’un des grands événements de ce festival de Cannes. Mais les feux ne sont pas au vert pour un triomphe. Il y a même de fortes chances que Megalopolis soit le Titanic de Coppola -le bateau, pas le film.

Mais qu’est-ce qui a poussé le réalisateur américain à mettre en jeu sa réputation et sa fortune personnelle pour un nouveau chef-d’œuvre potentiel, treize ans après son dernier long métrage (le film d’horreur Twixt, froidement accueilli) et 27 ans après sa dernière production commerciale (The Rainmaker, adapté de John ­Grisham)? En plus pour une épopée de science-fiction labyrinthique où s’imbrique une histoire d’amour -deux genres dans lesquels le réalisateur n’a que peu d’expérience-, le tout agrémenté de politique et de satire.

Quatre à la suite

Coppola s’est assuré une place au panthéon des réalisateurs il y a 45 ans. Dans les années 70, il a signé quatre chefs-d’œuvre consécutifs avec Le Parrain (1972), The Conversation, Le Parrain, deuxième partie (1974) et Apocalypse Now (1979). Que les quatre décennies suivantes aient été un peu moins honorables ne change rien à la légende, à ses cinq Oscars et deux Palmes d’or, ni aux livres d’Histoire qui le mentionnent comme une des figures de proue du Nouvel Hollywood, ère où c’était les réalisateurs qui faisaient la pluie et le beau temps dans la Mecque du cinéma, et pas les comptables, ­investisseurs et autres pontes des studios.

Sur le plan financier, Coppola, homme d’affaires né, n’a plus rien à prouver. Ce ne sont pas ses films qui ont fait sa fortune, mais le succès de ses vins californiens. Et même pour défendre l’honneur de la famille dans le monde du cinéma, il n’est pas obligé de quitter son domaine: sa fille Sofia Coppola (Lost in Translation, Marie-Antoinette ou encore le récent Priscilla) s’acquitte de la tâche avec talent depuis un quart de siècle.

Francis Ford Coppola aurait pu donc profiter tranquillement de ses vieux jours en savourant de gros cigares, de grands crus et de paradisiaques panoramas californiens. Mais il a décidé de concrétiser son vieux rêve et a investi lui-même plus de 100 millions de dollars, faute de studios ou autres investisseurs, pour que son Megalopolis voie le jour.

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Selon ses propres dires, le film est encore plus ambitieux qu’Apocalypse Now. C’est l’histoire d’une ville du futur en déclin -ce pourrait être New York, ou la Rome de Catilina. Après une catastrophe dévastatrice, la mégalopole doit être presque entièrement reconstruite. L’architecte idéaliste Caesar y voit une occasion unique de créer une utopie durable. Mais le maire corrompu Frank Cicero a une vision beaucoup plus conservatrice et capitaliste. L’affrontement entre les deux hommes place Julia Cicero, influente amoureuse du premier et fille du second, dans une position délicate. Trois rôles pour Adam Driver (le récent Ferrari), Giancarlo Esposito (Gus dans Breaking Bad et Better Call Saul) et Nathalie Emmanuel (Missandei dans Game of Thrones). Pour les personnages secondaires, Coppola a pu compter sur Aubrey Plaza, Shia LaBoeuf, son neveu Jason Schwartzman et les vétérans Jon Voight, Laurence Fishburne et Dustin Hoffman.

11 septembre

Coppola sur le tournage 
catastrophique ­d’Apocalypse Now. © CBS via Getty Images

L’idée de Megalopolis remonte à 1979, pendant la production d’Apocalypse Now. En 1983, Coppola commence à travailler sur le scénario. Peu après la campagne peu fructueuse des Oscars pour Le Parrain, troisième partie, ­American Zoetrope, sa propre société de production, fondée pour contrecarrer les studios hollywoodiens classiques, avait annoncé le tournage de Megalopolis en 1991. Mais il s’avère par la suite qu’il n’y a pas encore assez d’argent pour le lancer. Après la production désastreuse de son film sur la guerre du Viêtnam Apocalypse Now, Coppola a envie de quelque chose de plus léger: une comédie musicale se déroulant à Las Vegas, pour laquelle il fait construire à l’identique la cité du jeu et ses aéroports, y compris un avion crashé. Le très onéreux One from the Heart (1982) fait un flop et Zoetrope frôle la faillite. Par la suite, The Cotton Club (1984) et Tucker: The Man and His Dream (1988) ne sont pas non plus de francs succès.

Pour renflouer les caisses et permettre la ­production de Megalopolis, Coppola accepte la réalisation de trois productions hollywoodiennes. Ce n’est qu’après Bram Stoker’s Dracula (1992), Jack (1996) et The ­Rainmaker (1997) qu’il peut se pencher à nouveau sur son projet personnel. En 2001, il annonce à Cannes que le tournage de Megalopolis commencera en janvier 2002. Il a mis sur la table l’argent rapporté par ses vignobles et son neveu Nicolas Cage, Russell Crowe, Paul Newman et Robert De Niro ont accepté d’embarquer dans l’aventure. La préproduction tourne à plein régime quand Al-Qaïda s’attaque aux tours jumelles de New York. Coppola doit alors admettre qu’il faudra du temps avant que l’Amérique ne soit prête à regarder un film sur un New York futuriste rayé de la carte. Il table sur un report d’un an ou deux.

Mais depuis le 11 septembre, plus personne ne croit en Megalopolis. Et le projet pharaonique de Coppola commence à apparaître de plus en plus fréquemment sur la fameuse liste des Plus Grands Films Jamais Réalisés. La surprise est donc grande quand le réalisateur annonce son come-back en mai 2019, peu après son 80e anniversaire. Une fois de plus, il semble prêt à risquer sa fortune personnelle. Il vend une partie importante de son empire viticole, pour un montant qui s’élève selon les rumeurs à 500 millions de dollars.

Folie

Le budget de Megalopolis est estimé à 120 millions de dollars. Mais s’avère insuffisant. Les effets spéciaux en particulier, domaine dans lequel Coppola n’a que peu d’expérience, font exploser les coûts. En janvier 2023, le magazine spécialisé The Hollywood Reporter parle d’une production qui sombre dans la « folie ». Des créatifs occupant des postes-clés quittent le navire, ou sont licenciés. Toute l’équipe chargée des effets visuels démissionne en décembre 2022. Interrogé, Coppola affirme qu’il s’agit de contentieux personnels et nie tout chaos. Adam Driver, désormais chargé du rôle principal, s’engouffre dans la brèche en déclarant que la seule « folie » qu’il constate est que les productions ne soient pas plus nombreuses à être aussi « follement créatives et focalisées sur l’expérimentation ». Ce qui n’est pas vraiment rassurant.

Francis Ford Coppola © AFP via Getty Images

Depuis, la bande-annonce du film a ravivé les craintes d’effets visuels effectivement déficients. Plus inquiétant encore, Coppola a présenté son épopée le 28 mars à ­Nicolas Cage, Al Pacino, Spike Jonze, Shia LaBeouf et surtout aux principaux décideurs du cinéma hollywoodien et géants du streaming. Selon The Hollywood Reporter, il misait sur le fait que l’un d’eux débourserait la somme nécessaire pour le marketing au niveau mondial, estimée entre 100 et 140 millions de dollars. Mais personne n’a mordu à l’hameçon. La confiance dans la rentabilité du film est au plus bas. Et on ne sait pas encore, à l’heure d’écrire ces lignes, qui sortira ­Megalopolis, ni où.

Francis Ford Coppola peut se raccrocher à la certitude qu’il a déjà tout vécu et que sa mégalomanie est à la fois son plus grand défaut et sa plus grande qualité. Comme il l’a fait remarquer il y a quelques années, « il me semble que ça n’a jamais été facile, il y a toujours eu des controverses autour de mon travail. Des films comme Apocalypse Now ont au départ suscité des réactions négatives. On m’a traité de mégalomane. Ma carrière n’est pas une ligne droite vers le succès. J’ai connu la réussite au fil de mes échecs.« 

Effectivement, Apocalypse Now représente sans aucun doute le summum de ce que peut être une production désastreuse, mais il compte aujourd’hui parmi les plus grands films de guerre de l’Histoire du cinéma. Et même si son nouveau film se plante royalement, heurtant un iceberg ou s’approchant trop près du soleil en Icare moderne, il est sûr que le déjà légendaire Francis Ford Coppola ne quittera pas la scène par une issue dérobée. Mais par la grande porte.

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