Le Paradis: comment Zeno Graton renouvelle la romance queer au cinéma

Joe (Khalil Gharbia) trouvera dans une histoire d'amour inattendue une liberté rêvée. © National

Zeno Graton livre avec son long métrage Le Paradis une lancinante fugue amoureuse, histoire d’émancipation et de désir emprisonné.

C’est étrange un premier film. On voudrait tout y mettre, tout y livrer, tout y donner. Avec Le Paradis, Zeno Graton partage des émotions et des sensations fondatrices, constitutives de son identité. Des souvenirs familiaux, qui mirent le feu aux poudres de sa révolte citoyenne. Des passions esthétiques et artistiques qui vinrent la nourrir plus encore. “Ce qui m’a inspiré en premier lieu, explique le réalisateur, c’est le placement de mon cousin quand j’étais ado dans une IPPJ, et le mépris social que j’avais observé chez ma famille et dans la société, pour une prise en charge qui s’est avérée très inopérante et très inefficace. Le deuxième élément fondateur, c’est la lecture de Jean Genet, et la vision de son court métrage Un chant d’amour. Ses romans m’ont permis de m’émanciper, de construire mon désir, et de porter un regard critique sur les institutions.

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Ce qui frappe d’ailleurs, c’est la frontalité, le caractère absolu de cette histoire d’amour entre deux jeunes hommes placés en maison d’arrêt. Souvent, les romances queer dépeignent le doute, l’hésitation, la remise en cause des sentiments, le poids du regard des autres. Ici tous ces enjeux sont normalisés, comme antérieurs, pour laisser place à la passion: “Je ne me retrouvais pas dans les histoires d’amour queer que je voyais. À partir du moment où il y a eu dépassement de la honte et acceptation du sentiment, il y a toute une autre série de conflits qui arrivent, et dont on ne parle jamais. La passion, le manque, la trahison. Je voulais donner à voir une représentation peut-être légèrement utopique de cette question, mais avec l’envie de propulser le spectateur vers un autre moment de l’histoire, où ça devient évident de raconter comme ça ces histoires d’amour. Je constate d’ailleurs que depuis que j’ai écrit cette histoire, le monde a déjà un peu évolué. Les nouvelles générations ne s’excusent plus, elles sont fluides, et puissantes.

L’amour comme un territoire

Ce film, le jeune cinéaste l’a imaginé comme “un poème sur la liberté”. C’est dans le sentiment amoureux que Joe va trouver sa réelle émancipation, plus qu’en sortant de l’enfermement. C’est cette autre ouverture, l’ouverture à l’autre, qui va le délier de ses chaînes. “Joe a une voie toute tracée en termes de réinsertion, mais c’est quelque chose qu’il ne désire pas, parce qu’il n’y a personne à aimer dehors. Pour moi, sans amour, on n’est pas libre, on est enfermé dans une forme de solitude ou de conformisme qui peut être très dangereux. Cet amour devient un territoire invisible, volé à l’intérieur d’une institution dans laquelle c’est interdit. Le titre, Le Paradis, fait écho à ce territoire qu’ils sont en train de voler, à l’opposé de l’enfer que représente le lieu.

Et ce territoire, le cinéaste fait le choix engagé de le sublimer. Formé à la direction photo, Zeno Graton ose le Cinemascope, les travellings, les couleurs éclatantes. “On a voulu faire un pas de côté par rapport aux codes du film social, quitte à déréaliser certaines choses au niveau de l’image et du son pour signifier au public que nous étions dans une fable. On voulait élever le récit à un endroit de lyrisme qui nous semblait important pour exacerber la passion; ouvrir littéralement et métaphoriquement l’écran.” Joe et ses camarades s’expriment aussi en s’essayant à diverses pratiques artistiques, camera obscura, calligraphie, rap. La musique aussi, signée Bachar Mar-Khalifé, exalte les corps et offre une autre grille de lecture qui tient à cœur au cinéaste: “La musique a joué un rôle énorme dans le partage de l’émotion, mais aussi pour raconter Joe et ses racines, créer la reconnexion avec ses origines maghrébines avec lesquelles il n’avait pas forcément gardé le lien. Je suis à moitié tunisien, et si moi j’ai un passing blanc, et que je n’ai pas subi de racisme dans mon enfance, c’est quelque chose que j’ai vu pour certains membres de ma famille. La question de l’enfermement et du racisme institutionnel était évidente pour moi. Politiquement aussi, je voulais un chant arabe, une référence à Djalâl ad-Dîn Rûmî, le poète persan du Moyen Âge aux origines du soufisme auquel on a prêté une histoire d’amour avec son disciple Shams. Sa poésie est très liée au corps, à la danse. Ses écrits sont très sensuels, ce sont des adresses amoureuses à Dieu -ou à Shams. Il y avait l’idée de sacraliser cette histoire d’amour à travers la musique et les images pour l’amener à un endroit universel, où l’amour transcende la question du genre.

Le Paradis

Une histoire d’amour et de désir… Placé dans une maison d’arrêt pour mineurs, Joe avance jour après jour, tour à tour anesthésié par la répétition des tâches quotidiennes et exalté par sa soif de liberté. Tellement exalté même qu’il fugue, encore une fois, alors que la liberté se profile à l’aube de sa majorité. Joe navigue tant bien que mal sur l’océan agité de ses émotions, jusqu’à ce que débarque un nouveau. Avec William, le coup de foudre est immédiat, une vraie onde de choc. Joe marche sur un fil, une deuxième chance s’offre à lui, mais laquelle? La liberté, ou le désir? Zeno Graton fait le choix audacieux de précipiter une passion amoureuse au cœur d’un lieu qui pourrait y être hostile, mais où finalement les plus grands obstacles à cette passion revêtent une complexité inattendue. Ce qui s’y oppose n’est pas tant le monde extérieur que le temps lui-même, l’impossible patience requise pour y laisser libre cours. Alors Joe et William vont laisser leurs cœurs et leurs corps s’embraser, quitte à y perdre un peu de liberté.

De Zeno Graton. Avec Khalil Gharbia, Julien De Saint-Jean, Amine Hamidou. 1 h 23. Sortie: 17/05. ***1/2

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