Le cas Vincent Macaigne

Vincent Macaigne, boy next door désarmant et un peu dingue du nouveau cinéma français. © ISOPIX/Baltel
Ysaline Parisis
Ysaline Parisis Journaliste livres

À l’affiche des Innocentes et de Des nouvelles de la planète Mars, Vincent Macaigne se dédouble sur les écrans. Une ubiquité étrange qui va bien à celui qui est devenu, un peu malgré lui, la mascotte, toute de charme et d’incongruité, du nouveau cinéma français.

« Non mais j’arrive pas bien à expliquer… » « Pourquoi je disais ça? Attendez, je regroupe mes esprits. » « Non? Enfin, je trouve. Enfin je ne sais pas ce que vous en pensez? » « Pardon, je m’étale un peu, là, je me rends compte, mais je ne sais pas très bien comment m’asseoir. » Ce jour-là, dans une chambre d’hôtel parisien transformée en ballet de journalistes, Vincent Macaigne, le cheveu teint en un blond platine curieux, se débat comiquement avec un fauteuil à l’assise étrange -étroit, mais visiblement trop profond- comme parfois avec ses idées. Débit agité, sourcil interrogateur, anecdotes improbables, charme désarmant: il se dégage de l’homme et dans la « vraie vie » un peu de ce délicieux sillage d’incongruité qui accompagne son profil de boy next door un peu dingue du (nouveau) cinéma français.

Après de discrets débuts chez Catherine Corsini, Bertrand Bonello, ou Jalil Lespert, la bombe à retardement Macaigne explose au festival de Cannes 2013, où il présente trois films (La Fille du 14 juillet, 2 automnes, 3 hivers et La Bataille de Solférino). La coïncidence est une révélation, qui assoit sa trentaine un peu empêtrée et ses paradoxes de Droopy joyeux décisivement dans le paysage, entre voix cassée (une tessiture indécidable et qui semble parfois la première surprise d’avoir à sortir de ce corps-là) et physique de « dadbod » attachant qui réussit la gageure d’être à la fois chevelu et dégarni, classe et branque, quelconque et ultrasingulier. Un animal terrien ascendant lunaire: celui que la presse française aime comparer tant à Gérard Depardieu qu’à Bernard Menez semble toujours être là un peu malgré lui, tout en emmenant une force de présence pas banale. La trace, peut-être, d’un aiguillage dont Macaigne, né à Paris en 1978 d’un père français et d’une mère peintre iranienne, reste le premier surpris, mauvais élève qui découvre l’option théâtre dans une école d’arts appliqués, avant d’entrer au Conservatoire de Paris. « Si je veux être franc, j’ai une très grande tristesse de n’avoir pas eu la capacité intellectuelle de faire des études. Je sais pas, je me serais bien vu architecte en fait… Si j’avais un peu de courage, je reprendrais des études, d’ailleurs. Bon ça n’arrivera pas, mais je me verrais bien faire autre chose, un petit bout de temps. »

Par amitié

Les carrières qui décollent un peu malgré soi sont souvent le fait de rencontres déterminantes. Celle de Macaigne doit beaucoup au réalisateur Guillaume Brac. « Je dis souvent que je fais du cinéma par Guillaume. Je ne serais tout simplement pas acteur de cinéma sans lui. Au moment où il m’a fait tourner, je ne voulais pas faire de film -je l’ai fait par amitié. Encore aujourd’hui, je le vis comme une bizarrerie: le cinéma vient geler un état de soi, à un moment donné, quelque chose d’intime, et que tout le monde pourra voir ensuite. Je trouve ça bizarre, quand même… Après, j’ai beaucoup de plaisir à jouer, à faire des projets -simplement, j’ai moins de plaisir à l’idée que les gens y assistent ensuite, vous voyez ce que je veux dire? » Prétendant irrésistible de maladresse dans le très rohmérien Un monde sans femmes en 2011, rockeur borderline inquiétant dans le presque thriller Tonnerre en 2013: Macaigne va chercher en lui et pour les films de Brac quelque chose comme la matrice d’un profil bientôt récurrent, décliné de 2 automnes, 3 hivers à Les Deux Amis: l’amoureux éperdu, bouleversé, que ce sentiment vient tout en même temps sublimer et désarmer, galvaniser et rendre potentiellement dangereux -pour les autres ou pour lui-même. Un rôle ambigu, qui semble mettre précisément en jeu les contradictions qu’on sent palpiter chez lui, sous la surface -quelque chose comme une force de sensibilité, si cela était possible. « Aujourd’hui plus que jamais, on doit choisir entre cynisme et naïveté. Et moi je choisis la naïveté. La naïveté c’est l’espoir d’un renouveau, que les choses bougent, changent, continuent. Mais la naïveté témoigne aussi d’un besoin de vérité et d’absolu qui peut amener à une forme d’excès inévitable, et à une grande violence. » Un tropisme qui le porte tout naturellement vers les grands profils idéalistes: au théâtre, Macaigne a par exemple monté des pièces (très) librement inspirées de L’Idiot de Dostoïevski (Idiot!, parce que nous aurions dû nous aimer, en 2009), et Hamlet (Au moins j’aurai laissé un beau cadavre, en 2011). Deux spectacles excessifs –« mon théâtre est très violent »– où le débonnaire archibosseur fait crier la mise en scène et hurler -littéralement- ses acteurs. « En tant que metteur en scène, je crée de gros spectacles très très bordéliques et très très maîtrisés -limite « control freak du bordel ». Une sorte de gestion permanente du chaos. Mais de mon chaos à moi. Et je crois que je peux être déstabilisant pour ça, en tant qu’acteur de cinéma aussi: j’arrive sur la journée de tournage dans un état de bordel que je suis seul à comprendre. »

Les Deux amis, premier film de Louis Garrel
Les Deux amis, premier film de Louis Garrel© DR

En 2016, après Les Innocentes (lire page 36) et Des nouvelles de la planète Mars (lire page 34), Vincent Macaigne sera à l’affiche de La Loi de la jungle, nouveau film d’Antonin Peretjatko (La Fille du 14 juillet) -avec Brac, un autre visiteur régulier de sa planète. Difficile, avec lui, de départager l’emballement intime de l’élan professionnel. Le sérieux de la blague. « Antonin, la première fois qu’on s’est vus, il m’avait fait tellement rigoler que je l’ai entré dans mon portable sous « Antonin Drôle ». Pour être sûr de le reconnaître! A l’époque, j’avais juste vu quelques-uns de ses courts métrages, mais quand il m’a appelé pour La Fille du 14 juillet, je lui ai dit que je ferais son film, peu importe le rôle. Je fonctionne avant tout à l’univers, à l’aventure humaine. »

Antonin « Drôle », donc, mais aussi Garrel, père (Un été brûlant) et fils (Les Deux Amis), Justine Triet (La Bataille de Solférino), Vincent Mariette (Tristesse Club) Sébastien Betbeder (2 automnes, 3 hivers), Mia Hansen-Love (Eden)…: bien plus qu’au scénario, Macaigne marche à l’amitié. Une certaine idée de la troupe de théâtre, qu’il aurait transfusée l’air de rien au cinéma. « Faire un film est parfois juste un prétexte pour se voir et passer du temps ensemble. Tourner avec des gens que je ne côtoierais pas en dehors me semble moins naturel. Quand on travaille avec des gens qu’on connaît bien, il y a quelque chose d’assez violent, d’assez brutal et d’assez sain: on n’a pas l’envie de se plaire, on est une troupe. La seule chose qui nous importe, c’est d’essayer d’aller vers des choses belles, et plus grandes. Bon après, c’est pas les mecs qui fument des clopes et qui boivent ensemble à la Audiard, non plus (rires). Moi j’aime plutôt Cassavetes: cette idée des gens qui se portent les uns les autres, qui essaient de faire les choses de mieux en mieux. »

Idée de génération, voire de collectif, grosse prédilection pour les premiers films, voire passage à la réalisation lui-même (le court Ce qu’il restera de nous, en 2011): Macaigne emporte avec lui une certaine idée de mouvance, de « nouveau cinéma français » -indé, parfois fauché, vraiment neuf. « J’ai un amour pour les gens qui tentent des choses, et aussi un amour pour le moment de leur vie où ils les tentent. Sans aucun doute, c’est une chose qui m’attire. » A force, celui qui cite David Thewlis dans le Naked de Mike Leigh deviendrait presque la figure de proue de ces films « à la marge » -une étiquette que Libé a récemment ramassée sous un concept: celui des « Macaigne movies ». Le paradoxe absolu? « Je trouve ça complètement crétin, en fait, cette expression. J’aime pas du tout, ça m’énerve énormément. C’est comme si ça enlevait le fait que je bosse avec des cinéastes. Or chaque réalisateur a sa patte, ses propres envies, ses enjeux et pour toutes ces raisons il s’agit aussi de films complètement différents. Je n’aime pas dire que je rassemble tous ces gens, parce que ce n’est pas vrai. Le risque en entendant des trucs pareils, c’est que je commence à avoir peur de trop imprégner leur film. Et c’est une idée qui me découragerait carrément de faire du cinéma… »

Se teindre les cheveux

Complètement dans son temps, tout en poursuivant une certaine idée du décalage: c’est sans doute un peu ça, le mystère Macaigne. Une énigme reconduite par une élocution très singulière: comme dérythmée, résolument postmoderne (c’est encore plus frappant en voix off, comme dans 2 automnes, 3 hivers). « Le rythme, c’est la question majeure pour moi, quand je tourne. D’un film à l’autre, ce n’est pas le même débit, pas le même battement cardiaque. Et pas le rythme que j’ai dans la vie non plus. J’ai souvent une idée du rythme qui n’est pas forcément la bonne, et qui n’est pas forcément la même que les autres acteurs. Il faut que je m’ajuste, tout le temps. Quand je jouais Un monde sans femmes, je me rappelle: je me disais: « Il faut que je sois inquiétant! » alors que ce n’est pas du tout ce qu’on voit dans le film, au final: il n’y a aucun suspense dans le scénario, c’est un film sentimental. Mais l’inquiétude m’a permis de trouver le juste rythme du rôle. » Comme chez les grands acteurs, le raccord passe aussi chez Macaigne par une certaine plasticité physique. Un petit tour sur Google Images suffit à s’en convaincre: tout en conservant sa silhouette inénarrable, l’électron ne se ressemble pas exactement d’un film à l’autre. « Je suis capable de maigrir et grossir un peu sur commande. Je peux changer super vite de texture, d’énergie. Je change beaucoup, c’est assez étrange… Bon, après, moi je ne m’aime pas trop, hein. En ce moment, je me sens un peu pateux… Je me préfère plus maigre. » Et ces cheveux peroxydés, donc? « C’est moche, hein? Ça ne me va pas du tout… C’était pour un rôle. Il fallait que je sois blond, rasé de près (Les Philosophes, premier film de Guilhem Amesland, NDLR). Je vais les recolorer en normal, hein. Non mais du coup, c’est fou: c’est une question que je ne m’étais jamais posée, mais là, je me rends compte du geste que ça représente, de se teindre les cheveux. Je me fais des réflexions, comme ça… Vous voyez? Non? » Des nouvelles de la planète Mars, en effet.

Vincent Macaigne en 4 films

Un monde sans femmes

DE GUILLAUME BRAC (2011).

Apparu chez Catherine Corsini (La répétition), Bertrand Bonello (De la guerre) ou Philippe Garrel (Un été brûlant), Vincent Macaigne crève délicatement l’écran dans ce moyen métrage de Guillaume Brac, où il impose un naturel désarmant, le voile de sa voix et une présence à la fois juste et gauche, au coeur d’un film insolite doublant le récit des amour(ette)s de vacances d’un précis sensible de la solitude. Soit pour l’acteur, le moule de ses rôles à venir, et notamment chez Brac, qu’il retrouvera pour Tonnerre.

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2 automnes, 3 hivers

DE SÉBASTIEN BETBEDER (2013).

Un conte des cinq saisons, un film générationnel et la radiographie d’une relation amoureuse, le tout porté par un Vincent Macaigne tout simplement stupéfiant. Soit l’histoire d’Arman, 33 ans, qui, décidé à changer de vie, s’essaye au jogging pour rester, un choc frontal plus loin, suspendu au désir de revoir Amélie. Et une comédie qui, pour être ultra-référencée, ne s’en avère pas moins profondément originale, explorant la crise de la trentaine en un mélange de drôlerie et d’émotion vraie. Irrésistible.

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La Fille du 14 juillet

D’ANTONIN PERETJATKO (2013).

« J’aime retrouver une bande mais pas la routine », explique Antonin Peretjatko, le réalisateur de La Fille du 14 juillet. Propos que l’on pourrait attribuer à Vincent Macaigne, figure emblématique du « jeune » cinéma français, tournant à répétition avec les Brac, Betbeder ou Mariette, mais sachant se réinventer, entre comédie estivale au burlesque voisin de celui d’un Nino Ferrer (La Fille du 14 juillet, donc), et chaos hilarant de La Bataille de Solferino, de Justine Triet, où il se libère dans l’excès, dingue et attachant.

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Les Innocentes

D’ANNE FONTAINE (2015).

Les Innocentes, d’Anne Fontaine, vaut au comédien une rare incursion dans un cinéma d’inspiration plus classique, sous les traits de Samuel, un médecin juif opérant dans un dispensaire français de Pologne, à la fin de la Seconde Guerre mondiale. A l’abri des clichés, il signe une prestation mémorable, mélange d’humour, de fantaisie et de singularité, faisant de chacune de ses interventions un petit bijou de décalage. « Inventif et différent » selon la cinéaste, Vincent Macaigne, c’est l’acteur qui venait d’ailleurs…

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J.F.Pl.

>> Lire nos critiques des Innocentes et de Des nouvelles de la planète Mars.

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