Fifi, brin d’Astrid

Un biopic qui lève le voile sur une série d'événements déterminants dans la construction de la personnalité d'Astrid Lindgren. © DR
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Pernille Fischer Christensen consacre un film biographique, Becoming Astrid, à l’auteure de Fifi Brindacier, en s’attachant à un épisode fondateur de son existence, la naissance de son fils en exil…

Le parcours de Pernille Fischer Christensen est intimement lié au Festival de Berlin, où la cinéaste danoise a présenté chacun de ses quatre longs métrages depuis A Soap, Grand Prix du jury en 2006. Ainsi encore de Becoming Astrid en février dernier, un film biographique consacré à Astrid Lindgren, auteure suédoise ayant renouvelé la littérature pour enfants, et légué à la postérité des personnages comme Fifi Brindacier ou Zozo la Tornade. L’idée de ce film, la réalisatrice en a eu l’inspiration il y a quelques années déjà: « J’ai lu, dans un journal danois, la recension d’un ouvrage réunissant des photos en noir et blanc d’Astrid Lindgren, et illustré par un cliché d’elle et son fils, Lasse, légendé comme suit: « Astrid et le petit Lasse à Copenhague ». Je me suis demandé comment ils s’étaient retrouvés au Danemark. J’ai acheté le livre pour l’offrir à ma mère et je m’y suis plongée. Les photos de sa jeunesse montrent une personne qui n’est à l’évidence pas heureuse, et fort éloignée de l’image que j’avais d’Astrid. Plutôt que quelqu’un d’ouvert et chaleureux, regardant les gens dans les yeux, on se trouve face à une fille malingre et introvertie. Ça a attisé ma curiosité, mais je n’ai pas obtenu de réponse à mes questions, cet épisode danois n’étant évoqué que de façon lapidaire. » L’histoire aurait pu en rester là, deux ans passant avant que Pernille Christensen ne remarque, sur Internet, l’article d’une journaliste s’étant posé les mêmes questions qu’elle, et ayant publié les résultats de son enquête. « Je l’ai contactée, et les choses se sont alors faites petit à petit. Dans le même temps, une nouvelle biographie d’Astrid Lindgren est parue, suivie d’un documentaire; sa correspondance et ses journaux ont été publiés, et on en a appris plus sur elle, et son côté sombre… »

L’essence et les sens

De quoi nourrir le point de vue d’un biopic se préoccupant moins de retracer la vie de l’écrivain dans ses moindres détails que de lever le voile sur une série d’événements dramatiques déterminants dans la construction de sa personnalité. « Il s’agit d’une interprétation de choses dont nous savons qu’elles se sont produites, relève la cinéaste, revendiquant le caractère subjectif de sa démarche, fondée toutefois sur des recherches approfondies. Astrid Lindgren a dit elle-même que si Lasse n’était pas né, elle serait sans doute devenue écrivain, mais pas une écrivain à la renommée mondiale. Elle était parfaitement consciente du caractère « rosebud » (allusion au Citizen Kane d’Orson Welles, NDLR) de cet élément qui l’a forgée. Je ne peux que le suggérer, mais si on se reporte à ses histoires, on y trouve beaucoup d’enfants abandonnés, ou dont la mère est absente. Fifi n’a pas de mère et son père est loin. Il est souvent question de perte, mais aussi d’enfants luttant contre cette douleur et prenant le monde en charge. Lasse s’est rapidement imposé comme l’angle le plus fort pour aborder son histoire. Je ne voulais pas d’une construction mathématique expliquant d’où provient chaque élément, mais plutôt essayer de traduire l’essence même d’Astrid Lindgren, de même que sa mémoire sensitive très forte de son enfance. »

En quoi l’intensité d’Alba August était un gage de réussite, la réalisatrice confiant n’avoir pas éprouvé le moindre doute au moment de choisir son interprète: « Elle avait le feu intérieur, l’intelligence et l’ouverture émotionnelle. Et elle n’a aucune peur, elle ne se préoccupe que de la vérité. » Celle d’Astrid Lindgren lui a valu une postérité dépassant largement les frontières de sa Suède natale, Fifi Brindacier, son héroïne la plus connue, et une féministe avant l’heure, étant traduite dans plus de 50 langues. « Si ses histoires continuent à plaire, c’est parce qu’elles parlent des sujets les plus profonds de l’existence: la mort, les choix, la responsabilité, la liberté. Elle aborde les mêmes questions que les grands philosophes, mais de façon accessible. Grâce à son oeuvre, on a débattu de ces questions dans ma famille alors que j’étais enfant. Ça a forgé mon caractère. Beaucoup de gens ne vont plus à l’église et ne discutent plus les notions existentielles comme la bonté, l’amour, que sais-je. Son oeuvre propose une façon simple mais non superficielle de le faire. Pour moi, c’est ça le génie… »

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