Vous n’aurez pas ma haine, un récit de résilience bouleversant

3,5 / 5
Antoine (Pierre Delandonchamps) et Melvil (Zoé Iorio): l’amour comme rempart à la haine. © Komplizen Film
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Titre - Vous n'aurez pas ma haine

Genre - Drame

Réalisateur-trice - Kilian Reidhof

Casting - Pierre Deladonchamps, Camélia Jordana, Zoé Iorio.

Durée - 1h43

Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Dans « Vous n’aurez pas ma haine », Kilian Riedhof adapte l’ouvrage d’Antoine Leiris où ce dernier racontait la douleur et la résilience consécutives à la mort de sa femme dans la tuerie du Bataclan.

À l’instar du délai que s’était imposé Hollywood avant de s’emparer de l’expérience traumatique du 11 septembre dans des films comme World Trade Center ou United 93, sortis en 2006, il aura fallu attendre quelques années avant de voir le cinéma français se frotter au sujet délicat des attentats de Paris de novembre 2015. Si ces derniers apparaissaient bien en creux d’Amanda, le drame intime de Mikhaël Hers, aucun cinéaste pour les aborder frontalement, jusqu’à quelques semaines d’ici, quand sortaient coup sur coup Revoir Paris d’Alice Winocour et Novembre de Cédric Jimenez. Deux films auxquels vient aujourd’hui s’ajouter Vous n’aurez pas ma haine, adapté par Kilian Riedhof du livre éponyme d’Antoine Leiris -l’un des nombreux ouvrages inspirés par la tragédie. “Il faut du temps pour financer un film, observe le réalisateur, rencontré au festival de Namur. Mais plus fondamentalement, après un événement traumatique comme les attentats de Paris ou le 11 septembre, il faut se donner du temps pour avoir un point de vue, parce que le nez sur les faits, on ne peut rien voir. Il faut une certaine distance émotionnelle pour développer un point de vue et un jugement sur les faits, de même qu’un point de vue éthique.

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Des amis empathiques

Vous n’aurez pas ma haine s’inspire de l’histoire d’Antoine Leiris, dont la femme, Hélène, devait mourir dans la tuerie du Bataclan, le laissant seul avec leur fils de 4 ans, Melvil. Et d’emprunter un chemin sinueux, inscrit au confluent de la douleur et de la résilience, non sans accéder à une notoriété médiatique inattendue après avoir posté sur Facebook un message à l’attention des terroristes où il expliquait ne pas vouloir leur faire cadeau de sa haine. Une expérience consignée dans un livre qui a happé le cinéaste allemand: “Je l’ai lu il y a cinq ans, et il m’a complètement bouleversé. Peut-être parce que je vis dans une structure familiale voisine, ayant une petite fille qui a environ l’âge de Melvil, et que j’ai pu facilement m’identifier à la situation dans laquelle se trouvait Antoine.

Il y avait de nombreux producteurs qui souhaitaient acquérir les droits de cette histoire, et je pense que s’il nous les a donnés, c’est peut-être parce que, comparé aux Français, nous avions un peu plus de distance, n’étant pas dans l’épicentre du traumatisme.” Si le livre lui a parlé, c’est aussi, explique Kilian Riedhof, par son regard sur le terrorisme, en adoptant une perspective subjective intime, s’attachant plus à l’impact des faits sur cette famille qu’à la tragédie s’étant déroulée à l’intérieur du Bataclan. Laquelle est d’ailleurs maintenue hors champ, conformément au souhait d’Antoine Leiris, mais aussi en raison d’un souci éthique: “C’est très facile de donner une tribune au terrorisme en le montrant, et de le glorifier en un sens d’une manière sombre, juste pour en tirer des émotions faciles. On ne peut pas dramatiser de tels événements comme on le ferait dans un thriller, ce n’est pas un bon sujet. Les faits sont encore très frais, et à Paris, ça reste une blessure ouverte, le traumatisme est encore bien présent, comme on l’a encore vu avec les réactions lors du procès. La prudence s’imposait.” Quant à savoir s’il a jamais éprouvé des doutes sur le bien-fondé de l’entreprise? “Bonne question, soupèse-t-il. J’ai eu le sentiment d’avoir le droit de raconter cette histoire, étant moi-même mari et père, et partageant certaines valeurs qu’il me semblait important de défendre. Bien sûr, c’est un sujet français et même parisien: même si nous avons connu des attentats à Bruxelles ou à Berlin, nous sommes ici dans un cadre spécifiquement français. Je n’ai pas eu de doutes, mais j’ai été, dès le départ, d’une extrême prudence. Il était clair que nous devions parler aux gens et les écouter, sans les forcer ni utiliser leur récit pour nourrir une histoire palpitante. Nous ne voulions pas exploiter cette histoire à des fins dramatiques, mais écouter, comme l’on pourrait écouter son enfant. J’ai adopté pour règle que nous ne serions pas à l’intérieur de l’histoire, mais que nous serions des amis empathiques.

Kilian Riedhof au sujet de Pierre Deladonchamps: "Pierre est un très bon acteur, avec qui on peut voir facilement les émotions qui le travaillent."
Kilian Riedhof au sujet de Pierre Deladonchamps: « Pierre est un très bon acteur, avec qui on peut voir facilement les émotions qui le travaillent. » © Komplizen Film

L’amour en réponse à la haine

Une fois son accord donné, Antoine Leiris n’a pas souhaité s’impliquer plus avant dans l’entreprise, n’exprimant que quelques souhaits avant de laisser toute liberté au cinéaste et à son équipe pour s’approprier son histoire. Pour autant, le film se veut aussi fidèle que possible à son expérience: “Nous nous sommes concentrés sur son histoire, et avons étudié sa situation et la façon dont elle évoluait, comment il avait commencé à s’isoler, essayant d’ériger un mur pour ne pas partager sa douleur, avant d’apprendre petit à petit qu’il lui fallait s’ouvrir sans quoi il allait sombrer. Est venu s’y greffer le fait qu’il apparaissait déjà dans les médias trois jours après les attentats. ça ne figurait pas dans son livre, mais il passait à la télévision au bout de trois jours à peine. ça nous a perturbés, mais nous avons aussi réalisé que ça l’avait peut-être aidé à survivre, et à échafauder une construction où il pourrait penser à sa femme comme si elle vivait, bien qu’elle soit morte.Le personnage y gagne assurément en complexité, moins univoque que s’il avait été muré dans un statut exclusif de victime.

Cette ambivalence, le film a veillé à la traduire sans pour autant qu’elle n’entame la force de son message, ce “Vous n’aurez pas ma haine” rapidement devenu viral. “Les réseaux sociaux sont toujours à double tranchant, mais ils peuvent porter des émotions positives, souligne Kilian Riedhof. Son post a été partagé 250 000 fois dans le monde, c’est énorme. En même temps, il faut être attentif à ne pas s’y perdre.” Une tension que Pierre Deladonchamps réussit à restituer avec justesse: “À un moment, pendant le tournage, je me suis dit qu’il ressemblait vraiment à Antoine, apprécie le réalisateur. Un peu comme s’ils avaient fusionné. Mais le plus important, c’était d’obtenir ce personnage qui débute enfermé dans une sorte de cocon, et qui essaie d’en sortir et de s’épanouir. Antoine m’a expliqué que ça lui avait rappelé la paternité, ce qui se rapproche d’ailleurs de mon expérience: on ne naît pas père, on le devient.

Si le post d’Antoine Leiris a eu un tel retentissement, c’est peut-être aussi parce qu’il touchait à quelque chose de sensible, prenant résolument le contre-pied des tenants de propos haineux qui abondent désormais sur ces mêmes réseaux sociaux. “J’adhère totalement à ce qu’il dit dans une interview télévisée, quand il explique que si on répond à la haine par la haine, on ne fera jamais que l’attiser. C’est quelque chose que l’on peut observer très facilement sur Internet où, quand il y a un post haineux, il y en a tout de suite un autre pour faire de la surenchère, après quoi les réactions s’enchaînent, comme dans une spirale. C’est particulièrement vrai de notre société moderne où on ne s’arrête pas, on continue toujours. Mais s’il est juste de vouloir contrer la haine par l’amour, on ne peut occulter la présence de la haine qui constitue l’une de nos émotions, que ça nous plaise ou non. Le film en rend compte, avec aussi une question: voulons-nous nous laisser guider par la haine, ou pouvons-nous trouver en nous les moyens de la surmonter? Il ne s’agit pas de nier sa présence, mais de trouver les instruments pour la dépasser. La psychologie nous apprend que développer une relation profonde avec un autre individu est le meilleur moyen de se prémunir de la haine. Et dans le cas d’Antoine, cet autre, c’est son fils, Melvil.

Vous n’aurez pas ma haine

Après Alice Winocour dans Revoir Paris et Cédric Jimenez dans Novembre, c’est au tour de Kilian Riedhof de revenir sur les attentats de Paris du 13 novembre 2015 avec Vous n’aurez pas ma haine, un film adapté du livre autobiographique éponyme d’Antoine Leiris. Hélène (Camélia Jordana), sa femme et mère de leur jeune enfant, disparue au Bataclan, ce dernier devait, la sidération initiale passée, publier sur Facebook un post à l’attention des terroristes, refusant de céder à la haine et au désespoir. Un message rapidement devenu viral, au point d’en faire bientôt la coqueluche des médias, jusqu’au malaise. Ce récit poignant, le réalisateur allemand l’envisage à juste distance, signant un film forcément émouvant sans se départir pour autant d’une indispensable retenue. Et trouvant en Pierre Deladonchamps un interprète inspiré, réussissant, tout en sobriété, à restituer la douleur et l’humanité mais aussi les contradictions de cet homme plongé dans une tourmente intime. Fort.

DE KILIAN RIEDHOF. AVEC PIERRE DELADONCHAMPS, CAMÉLIA JORDANA, ZOÉ IORIO. 1 H 43. SORTIE: 16/11. 7

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