Audiard et ses Olympiades: « J’avais envie de parler de l’état du discours amoureux aujourd’hui »

Les Olympiades: marivaudage sentimental à quatre personnages et à géométrie variable.
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Adaptant Adrian Tomine, le réalisateur des Frères Sisters renoue avec l’énergie d’un premier film, pour signer, dans un noir et blanc sensuel, un marivaudage sentimental en forme de portrait générationnel.

Certains réalisateurs conçoivent chaque nouveau film contre le précédent. Jacques Audiard par exemple qui, sortant d’une incursion dans le vaste territoire spatial et temporel du western à l’occasion des Frères Sisters, s’est rabattu sur un cadre urbain et un récit on ne peut plus contemporain pour Les Olympiades. « L’entreprise du western, qui était une commande, la seule et unique que j’aie jamais réalisée de ma vie, a, je crois, du fait de sa spécificité, clos un épisode. J’étais un peu extérieur au sujet, comme le spectateur de ce que j’étais en train de faire, même si j’y mettais en oeuvre des choses très personnelles, et cela terminait quelque chose. Les Olympiades arrivait derrière, et c’était assez nouveau, comme si, de même que l’on dit films d’horreur, films policiers ou films noirs, j’allais faire un film genre premier film. »

Audiard et ses Olympiades:

Adapté de trois récits graphiques de l’auteur américain Adrian Tomine, Les Olympiades en a assurément l’énergie, tout en réussissant à vibrer au diapason d’une jeunesse trentenaire en peine de se fixer professionnellement, amoureusement ou sexuellement. Et cela, en suivant quatre personnages qu’Audiard entraîne dans un marivaudage sentimental inspiré dans le quartier parisien du 13e arrondissement qui prête son nom au film. « J’y ai longtemps vécu, et il a la particularité d’avoir beaucoup changé ces quinze dernières années. On y a beaucoup construit, il s’est élevé, et c’est devenu un quartier universitaire, avec la fac de Tolbiac et le campus Denis Diderot. Ça brasse beaucoup de générations, ça brasse ethniquement et culturellement. J’aime beaucoup le quartier pour ça, les Olympiades en étant comme un îlot central. » Dont le plan d’ouverture du film, aérien, révèle la beauté insoupçonnée, tout en mettant en valeur sa qualité urbanistique générique pour ainsi dire: « J’ai beaucoup tourné dans Paris, et j’en connais les limites -Paris musée, Paris touristes, Paris romantique, Paris haussmanien… C’est un Paris que j’aime beaucoup, mais à filmer, c’est limité, j’en avais assez. Je voulais voir Paris comme une métropole étrangère, distante à elle-même, et ça, le 13e s’y prête très bien. Vous y ajoutez le noir et blanc, et vous obtenez quelque chose de beaucoup plus moderne, brillant, vibrant… Le plan initial servait à exposer ça une fois pour toutes. »

Audiard et ses Olympiades:

Un enfant de Ma nuit chez Maud

À l’origine des Olympiades, il y a l’envie du réalisateur de Sur mes lèvres de raconter des histoires d’amour. « Et elles concernent essentiellement les jeunes gens, complète-t-il. Nous avons transformé les récits graphiques en histoires d’amour parce que ce n’était pas ça qui prédominait chez Tomine. Ce qui m’intéressait chez lui, c’était des jeunes gens, trentenaires et citadins. » Quand Audiard dit « nous », il pense à Léa Mysius et Céline Sciamma, avec qui il a cosigné le scénario du film. Manière de mieux s’approprier la géographie du sentiment amoureux parmi la jeunesse contemporaine? « C’est possible, mais c’est plutôt un résultat qu’il faut constater qu’une volonté. Très honnêtement, le scénariste avec qui je travaille habituellement (Thomas Bidegain, NDLR) n’étant pas libre, je suis allé chercher quelqu’un d’autre. Et assez naturellement, parce que je la connaissais avant, je suis allé vers Céline, qui est une très bonne scénariste -ce n’est pas un perdreau de l’année, comme on dit. » Les aléas des calendriers et des tournages aidant, Léa Mysius viendra se rajouter à l’équation sans, assure le réalisateur, que la notion de « female gaze » soit entrée en ligne de compte. « Jamais de la vie, en tout cas pas de manière consciente en ce qui me concerne. Je ne me souviens pas d’une chose particulière ayant trait à la spécificité féminine de l’écriture, sauf peut-être dans certains dialogues, avec Léa. » Et d’enchaîner: « Ça faisait longtemps que j’avais envie de parler de l’état du discours amoureux aujourd’hui. Moi, je suis un enfant de Ma nuit chez Maud. Avant, on parlait, beaucoup, et puis, éventuellement, on s’étreignait. Dans Ma nuit chez Maud , ils ne s’étreignent pas justement, et c’est ça qui est intéressant, comme si le discours avait une telle force érotique que ça vidait l’acte qui devait suivre. Aujourd’hui, c’est plus singulier: on se rencontre, et on couche le premier soir. Ce qui pose la question de l’existence du discours amoureux: est-ce qu’il existe? À quel moment intervient-il? De quoi est-il fait? »

À quoi le film apporte des réponses multiples, déclinant le discours amoureux en différents tempos et variations, suivant les situations rencontrées par les deux binômes qui le composent, Émilie et Camille d’une part, Nora et Amber de l’autre. Au passage, Audiard convoque des artefacts contemporains, et l’interface des écrans, la violence potentielle de l’époque aussi à travers les réseaux sociaux, tout en veillant à garder à l’ensemble légèreté et même optimisme. « Pour moi, c’est une comédie sentimentale. Rohmer aurait dit un conte moral, et je reprends ça entièrement. Le film part de trois personnages qui se trompent complètement sur eux-mêmes: ils ne savent pas qui ils sont, ou ils prétendent être quelque chose qu’ils ne sont pas. Camille est dans une revendication un peu hautaine et prétentieuse de sa liberté, Émilie pense être une petite punk de l’amour, Nora ne sait simplement pas qui elle est. Le film va leur asséner une leçon et les ramener à ce qu’ils sont, et ils vivront mieux, je crois. Et c’est le personnage caché, Amber, qui elle ne se trompe pas sur elle-même, sait qui elle est, ce qu’elle fait et pourquoi elle le fait qui, en séduisant Nora, va faire tomber tous les autres dominos. »

Audiard et ses Olympiades:

Le champ des relations amoureuses

Cam girl, Amber ancre aussi Les Olympiades dans un présent où la communication virtuelle infuse les relations amoureuses et sexuelles. Un champ que le film explore aussi bien à travers les outils technologiques que la parole ou les corps. Si Audiard met en scène une jeunesse qui se cherche affectivement, il filme aussi une sexualité épanouie. On peut, après tout, se revendiquer de l’auteur du Genou de Claire et ne pas être dans la chasteté pour autant: « Le film, à un moment donné, trouve une unité, un degré d’érotisme, et il ne faut pas le dépasser. Être au-dessus, montrer quelque chose d’explicite avec une volonté délibérée, c’est désagréable, comme si ça sortait du film. Et être en-dessous, ça veut dire qu’il n’y a plus rien, on retrouve les figures de l’ancien temps, où hop, les protagonistes allaient au lit, et après, ils fumaient une cigarette. » Audiard, pour sa part, adopte une ligne médiane à laquelle un noir et blanc soyeux confère un surcroît de sensualité: « Il y avait plus de sexe dans le scénario que dans le projet à l’arrivée. En couleur, c’est de la viande, un petit peu, c’est gênant. Le noir et blanc unifie, il a quelque chose qui n’existe pas en couleur: le brillant. »

Jacques Audiard, avec Lucie Zhang et Makita Samba,
Jacques Audiard, avec Lucie Zhang et Makita Samba, « des personnages qui se trompent complètement sur eux-mêmes. »

De l’époque, qu’il réussit à croquer lumineusement, les flux qui la portent comme l’énergie qui en émane, les dérives éventuelles aussi, Jacques Audiard confie encore qu’il veille surtout à s’en protéger: « Je ne suis sur aucun réseau social, rien du tout. Je consomme très peu, je me méfie comme de la gale de tout ça, ça ne m’intéresse pas. C’est en me protégeant que je deviens l’observateur que je peux être parfois. Mon attention et ma curiosité sont toujours là. » Et c’est peu dire que Les Olympiades en apporte le témoignage éloquent, ancré dans un présent auquel le prisme du sentiment amoureux donne un tour aussi intemporel qu’enivrant. Touché par la grâce, à tel point qu’on se serait bien vu accompagner Émilie, Camille, Nora et Amber quelque temps encore. Jacques Audiard aussi, d’ailleurs qui conclut, alors qu’on l’interroge, sur l’inflexion qu’il compte ensuite donner à son parcours: « Je suis très bien. Ce n’est pas que je ne me pose pas de questions, mais je suis libre. Quand on se dit libre, il faut faire attention aux chèques en blanc. Mais ce n’est pas ça: j’ai des idées, j’ai envie d’aller dans des endroits, comme ça… À vrai dire, ce que j’aimerais beaucoup, c’est continuer, presque, à faire une série des Olympiades , mais je sais que je ne la ferai pas, je suis plutôt quelqu’un du one-shot. Mais j’aurais beaucoup aimé, avec cette structure technique, ce type de comédiens, de personnages. Je trouve un peu ennuyeux d’avoir inventé tout ça et de le laisser, de refermer le tiroir, ils mériteraient d’avoir une suite. » Mais voilà, certains réalisateurs conçoivent chaque nouveau film contre le précédent

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