Cabane sort son nouvel album : vous n’entendrez rien de plus émouvant en ce début d’année

Cabane, alias Thomas Jean Henri: “Au fond, ce qui importe, c’est d’avoir la franchise et la force de porter ses choix”. © thomas jean henri
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Sur le deuxième volet de la trilogie de Cabane, le Bruxellois Thomas Jean Henri dissèque le deuil amoureux, à coups de mélodies folk tourmentées. Grands frissons.

Bruxelles, un matin froid et lumineux de janvier. Il y a des chouquettes sur la table du salon, du butternut qui sue dans la cuisine et la soul de Labi Siffre qui réchauffe les enceintes. Ici, c’est le repaire de Thomas Jean Henri. Quelque chose comme sa cabane. Ce qui est aussi le nom de son projet musical, lancé en 2015, ouvert avec Grande est la maison, en février 2020.

C’était juste avant le premier confinement. Au cœur de la pandémie, l’album de Cabane servira de… refuge aux angoisses du moment. Une collection “de chansons folk jusqu’au-boutistes, à la fragilité lumineuse”, écrivait-on alors. Elles étaient notamment prises en charge par l’Anglaise Kate Stables (This Is The Kit) ou le pape US de la folk indie, Will Oldham (Bonnie Prince Billy). Un casting prestigieux pour une musique discrète et intimiste. Autoproduit, pressé seulement à quelques centaines d’exemplaires, Grande est la maison réussira quand même à se frayer un chemin jusqu’aux oreilles curieuses. Interviewé dans The Observer et Libération, Cabane verra même son disque être élu “album de l’année”, par le magazine Magic. Sur Bandcamp, tous les vinyles et CD-R seront rapidement épuisés. Le temps de sortir encore une série de “remakes” par des artistes-amis (de Marc Huyghens à Laura Etchegoyhen), et Cabane refermera la porte. Il retournera dans l’ombre, disparaissant même des réseaux. Comme un écho au morceau Now, Winter Comes, sur lequel Kate Stables chantait: “Don’t you see/How I slightly disappear”…

L’oeuvre au noir

Quatre ans plus tard, celui que l’état civil connaît sous le nom de Thomas Van Cottom, vu également au sein de Venus, Soy Un Caballo, et aux côtés de… Stromae (comme tour manager), réapparaît enfin. Dans les mains, un nouvel album. Brûlée est bien le deuxième volet de ce qui doit être vu comme une trilogie; et son titre, la suite de ce qui est censé composer, à la fin, une phrase complète. Kates Stables en est à nouveau la figure centrale.

Elle ouvre d’ailleurs le disque avec In Parallel. L’univers est connu, la guitare acoustique et les violons enregistrés avec Sean O’ Hagan (The High Llamas) donnant le ton. Rapidement, pourtant, le morceau mute et change de visage. “J’avais envie de créer une sorte de fondu enchaîné entre le premier et le deuxième album. Le titre démarre en reprenant tous les marqueurs de Grande est la maison: la voix de Kate, la guitare nylon, etc. Jusqu’à ce que la batterie et le synthé arrivent et l’emmènent ailleurs. Pour moi, c’est vraiment là que commence Brûlée.” Le morceau de transition est aussi une sorte d’avertissement. “Je voulais être aussi dans une sorte d’épure qui pose un postulat de départ assez clair. En gros, si vous voulez écouter ce disque, il va vraiment falloir vous y mettre et m’accorder du temps, parce que ça ne va pas être si facile que ça. (sourire)

Il ne faudrait pas se méprendre. Aussi sophistiquée soit-elle, la musique de Cabane n’a rien de compliqué ou d’hermétique. Mais, c’est vrai, elle ne gueule pas pour se faire entendre. Et ne s’apprécie vraiment que si on lui accorde un minimum d’attention -cette denrée devenue tellement rare, soumise à tant de pression. Là est la vraie radicalité de Cabane.

Elle est d’autant plus assumée sur Brûlée. Marqué par le deuil amoureux, soupesant ce qui reste quand tout est consumé, le disque brille tel un diamant sombre. L’œuvre au noir de Cabane.

Traversée en solitaire

Ce n’était pas forcément l’intention de départ. Quand il imagine la suite de Grande est la maison, en 2021, Thomas Jean Henri commence comme d’habitude par accumuler les idées. “Au bout d’un an, j’ai regardé ce que j’avais. Et, en gros, je me suis retrouvé avec deux disques différents. Le premier était constitué de chansons très référencées, liées aux B.O. des années 60-70: celles des films de Jacques Demy, comme Les Demoiselles de Rochefort, ou les musiques de François de Roubaix. Des choses très enjouées, avec beaucoup de chœurs, etc. Et puis, j’en avais un second, beaucoup plus sombre…

Kate Stables, figure centrale de la trilogie de Cabane.
Kate Stables, figure centrale de la trilogie de Cabane. © thomas jean henri

Un titre en particulier, trace la route: Îlot, pt 1. Une chanson qui avance sur la pointe des pieds, faisant mine de démarrer sans jamais vraiment s’élancer, finissant par s’évaporer, comme broyée par un drone grésillant. “On a toujours besoin d’un morceau central. Ce n’est pas forcément le meilleur. Mais c’est celui qui permet d’expliquer tous les autres. Je me souviens en tout cas que quand j’ai mis la main dessus, le reste n’avait plus le même poids. Je trouvais qu’il y avait une façon d’aborder la chanson pop qui m’intéressait. Une manière de torturer les choses, de les étirer, de travailler sur l’idée d’évanouissement.

L’accouchement de Grande est la maison avait été long. Celui de Brûlée sera douloureux. Plus que jamais, Cabane avance en autarcie. Une traversée en solitaire houleuse et chahutée, pour disséquer le sentiment de perte. C’est que Thomas Jean Henri aime (se) poser des questions (pour accompagner la sortie de son premier album, il avait par exemple sorti un mini-docu, dans lequel il interrogeait certains de ses proches: que se passerait-il si je sortais mon disque demain, sans prévenir? et si je le sortais en un seul exemplaire?).

La valeur du refuge

Certes, des questions, tout le monde s’en pose, tout le temps. Mais Thomas Jean Henri a le mérite de ne pas se défiler. Même (surtout) devant les plus douloureuses. “Quand on me demande si je suis content du résultat, je réponds qu’il n’est en tout cas pas à la hauteur de la perte que cet album représente pour moi. Il ne le sera jamais. Mais j’ai voulu lui accorder tout l’amour qu’il méritait, et toute la force dont il avait besoin. D’une certaine manière, je n’ai pas voulu me débiner.” Et d’ajouter un peu plus tard: “Je suis très fier de ce disque. Pas forcément des chansons en tant que telles -j’y suis attaché, mais le sentiment de “fierté” n’a rien à voir avec ça. Je suis surtout très heureux de l’avoir terminé. D’y avoir engagé tout le travail nécessaire et d’avoir eu cette ténacité, ce courage d’affronter les choses. De tenir ma direction -ce qui est un peu ma qualité principale, comme mon plus grand défaut…

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Thomas terminera l’enregistrement essoré. Quand on le croise à ce moment-là, il y a un peu plus d’un an, il semble à la fois pressé d’en finir et plus vraiment certain de vouloir publier le disque. Aujourd’hui, il glisse: “J’aurais voulu avoir la force qu’il ne sorte pas. Mais ça n’aurait pas été très respectueux, d’abord envers ma propre personne. Je me serais, une nouvelle fois, tiré une balle dans le pied. Et je ne méritais pas ça (sourire). Mais encore une fois, c’est un sentiment très ambigu, qui tient à la fois de la grande joie et d’une profonde tristesse.

Le courage des oiseaux

Il y a quelques semaines, on tombait sur une phrase publiée en story du compte Instagram de Cabane: “Do more of what makes you happy. Ce qui, vu l’histoire traumatique de Brûlée, est plutôt cocasse. L’intéressé sourit: “Disons qu’il y a parfois du second degré dans ce que je poste… Mais c’est vrai que j’aime bien l’idée qu’il est plus intéressant de développer ses qualités que d’essayer de combler ses défauts.

Sam Genders, voix masculine de l’album Brûlée.
Sam Genders, voix masculine de l’album Brûlée. © thomas jean henri

Les Internets regorgent d’aphorismes “émancipateurs” et de playlists motivationnelles. La plupart du temps calibrés pour arriver au bout de sa séance à la salle, ou doper sa réussite professionnelle. On comprend que, dans le cas de Cabane, il s’agit moins de se dépasser que de se confronter. Avec obstination et entêtement, sans jamais rien lâcher, jusqu’à dénicher le mot ou la note juste. “J’ai déjà raconté l’histoire du morceau Today? Pendant des semaines, j’ai tourné autour de deux accords, sans réussir à trouver la suite. Je n’étais jamais content. Je pensais même ne pas le mettre sur le disque. Et puis, un matin, pendant l’été, je me réveille à 5 heures. Un oiseau chante sur ma terrasse. ça n’arrive quasi jamais! C’était tellement beau, que je suis sorti pour l’enregistrer. C’est lui que l’on entend sur la version finale. Il m’a aidé à terminer le morceau et m’a amené toute la dernière partie.

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La voix de Sam

Today est déjà sorti en single, le printemps dernier. Avec pour pochette une photo prise depuis la place Poelaert, à Bruxelles. L’une des 365 que Thomas Jean Henri a prises, quotidiennement, pendant un an, entre le 9 janvier 2022 et le 9 janvier 2023, au même endroit. Ce travail photographique a même fait l’objet d’une exposition, intitulée Rien ne change à part peut-être le temps. Particularité: chaque visiteur pouvait repartir avec l’un des clichés, en échange d’un souvenir, lié à la date choisie. “J’aimais l’idée de disparaître dans mon travail. Que si ces personnes accordaient une place à cette photo chez eux, ils n’allaient plus forcément penser à moi mais au souvenir qui y est lié.”

De la même manière, l’effacement est au cœur de Brûlée. Jusque dans la photo de la pochette -la silhouette féminine, qui se détache du monochrome noir. Et même -c’est le comble!- jusque dans l’absence même de l’intéressé. Jamais, en effet, on n’entend la voix de Thomas Jean Henri. Mais bien celle de l’Anglais Sam Genders (Tunng). “Ce n’est peut-être pas moi qui chante, mais c’est moi. Et puis, si je ne prends pas le micro pour l’instant, c’est parce que je pense aussi que ce serait trop personnel. Je ne laisserais pas assez de place aux gens pour pouvoir investir eux-mêmes la chanson.

© National

Pain and glory

Les choses ne sont cependant pas figées. Après avoir tracé seul, enfermé chez lui, Cabane a quand même fini par prendre l’air. Il est notamment parti enregistrer une série de capsules: des lives de quelques-unes des nouvelles chansons, en compagnie de camarades, comme Françoiz Breut, Lonny, ou Sam Genders, la plupart du temps captés en extérieur.

Au printemps dernier, Cabane a également organisé des sessions d’écoute de l’album. À ce moment-là, aucune date de sortie n’avait encore été annoncée. En d’autres mots, le public n’était pas encore certain qu’il aurait d’autres occasions de l’écouter. Au départ, “c’était une manière de redonner un peu de considération à l’expérience d’écoute, et à un objet -le disque- qui est de plus en plus souvent considéré comme un simple produit d’appel. Mais dans la foulée, l’artiste-ermite a également retrouvé le goût de l’échange. “J’ai négligé l’importance de la rencontre. Je pensais vraiment que les réseaux, par exemple, combleraient cette attente.

Le poids de l’absence

Récemment, Thomas Jean Henri a également donné quelques interviews, en France notamment. “Les retours sont plutôt bons. Même plutôt meilleurs que pour le premier album. Ce qui est assez perturbant: voir des gens aimer un disque qui représente l’une des périodes les plus tristes de votre vie…(sourire) Entre plages apaisées (Italian Mysteries) et adieux déchirants (Melodies of Love), Brûlée mesure en effet toute la place que prend l’absence. “Our songs of pain and glory, filled with light”, résume notamment Sam Genders, sur Dead Song Pt 1. Mais sans jamais glisser dans le désespoir.

En toute fin, l’éclaircie semble même pointer le nez. Pas question de parler de happy end -puisque de toutes façons, la trilogie annoncée ne se clôturera qu’avec le prochain disque. Mais tout de même: le dénouement d’All We Could Do a la beauté réconfortante d’une grande ballade soul (avec même, si l’on pousse un peu, des accents quasi abba-esques); tandis que le chœur final annonce que Tout ira bien… “Au fond, la seule chose qui importe, c’est de respecter ce que l’on vit, avoir la franchise et la force de porter ses choix”, résume Thomas. “Et puis, j’ai eu 50 ans récemment. Il ne faut plus traîner, quoi. Je ne sais plus à qui je disais ça l’autre jour, mais il y a l’envie d’en découdre… (sourire) Au moment de repartir, on demande quand même: a-t-il encore revu/réentendu par la suite le fameux oiseau, sur la terrasse? “Non, jamais… C’est une belle histoire, non? Ou alors, c’est peut-être un peu too much?” Grande est la cabane…

Cabane, Brûlée ****, autodistribution. Release party ce 27/01, chez Tropicall records, Bruxelles.

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