Critique | Musique

Nos albums de la semaine: The Weeknd, Peter Doherty, Metallica…

The Weeknd © REUTERS/Markus Schreiber
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Troisième album d’Abel Tesfaye, boosté par la collaboration avec Daft Punk, Starboy échappe, de justesse, à la superproduction pop stérile. Avec également nos critiques des albums de Peter Doherty, Metallica, Jay Daniel, Simian Mobile Disco, Michael Mayer, Otis Redding…

The Weeknd – « Starboy »

POP. DISTRIBUÉ PAR UNIVERSAL. ***

EN CONCERT LE 03/03, AU SPORTPALEIS, ANVERS.

Rappelez-vous. C’était il n’y a pas si longtemps. Il y a plus ou moins cinq ans, Abel Tesfaye débarquait sur la scène musicale, avec le projet The Weeknd, incarnation discrète, volontairement nimbée de mystère. Le genre à préférer se planquer dans l’ombre plutôt que de s’exposer frontalement à la lumière des projecteurs. Ce qui collait bien à la musique, soit dit en passant. En l’occurrence, un r’n’b dépressif, qui noyait son spleen amoureux dans des productions blêmes, voire fantomatiques, emmené par un timbre et des tics vocaux rappelant volontiers Michael Jackson (il reprend Dirty Diana en concert).

Petit à petit, Tesfaye migrera cependant de la marge branchée au centre de la pop mondiale. Adoubé dès le départ par Drake, il se retrouvera bientôt à jouer les invités de luxe aux côtés de Sia ou Ariana Grande, Beyoncé ou Kanye West. Mais le grand saut, c’est avec l’album Beauty Behind the Madness qu’il le fera réellement. Deuxième album officiel du bonhomme, il lui permet alors d’accentuer sa mue. La transformation passe notamment par le single Can’t Feel My Face. Bénéficiant de la patte du hit-maker suédois Max Martin, le titre deviendra le plus gros tube de The Weeknd, désormais mis sur orbite.

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Un an à peine plus tard, Tesfaye est déjà de retour. Pressé, le Canadien a même interrompu sa tournée en première partie de Rihanna pour boucler les enregistrements de ce Starboy au plus vite. Comme attendu, le partenariat avec Max Martin y est renouvelé, via le titre Rockin’, aussi efficace que peu aventureux: un exercice easy house à la Disclosure, calibré pour cartonner. Avant même la parution de l’album, la grande nouvelle restait cependant l’annonce de la participation de Daft Punk au projet. Rare, le duo français s’est glissé sur deux titres: à peine identifiable sur le single Starboy, sa patte est beaucoup plus prégnante (voire caricaturale) sur I Feel It Coming. Sans qu’aucun des deux morceaux ne parvienne vraiment à rencontrer les attentes suscitées par ce qui se présentait comme une « rencontre au sommet ».

Si c’était l’occasion pour The Weeknd d’aller gratter plus profondément dans les années 80 -une des marottes des Français casqués-, il le fait avec plus de réussite quand il s’allie par exemple avec Roland Orzabal, samplant son groupe Tears for Fears, sur Secrets. Sur Sidewalks, Tesfaye change encore de registre, lorgnant la soul vintage à la Raphael Saadiq (laissant de la place pour l’inévitable featuring de Kendrick Lamar).

Tout ne fonctionne pas aussi bien sur Starboy. Avec 18 morceaux, s’étendant sur près de 70 minutes, l’album est copieux. Trop pour ne pas connaître de baisse de régime. Certes, la superproduction permet à Tesfaye d’à la fois confirmer sa patte (All I Know, avec Future), de tester différentes formules et de s’éloigner toujours plus de la proposition claustrophobe de départ. Mais sans vraiment réussir à définir une direction claire. On ne peut pas tout avoir… (L.H.)

Peter Doherty – « Hamburg Demonstrations »

ROCK. DISTRIBUÉ PAR BMG/CLOUDS HILL. ***

Il vaut mieux brûler franchement que s’éteindre à petit feu. Prenant au pied de la lettre les leçons de ce bon vieux Neil Young, Peter Doherty n’avait cessé depuis le début des années 2000 et son arrivée tonitruante sur le devant de la scène britannique de cramer la chandelle par les deux bouts. Titubant dans ses concerts et ses disques de sa grande carcasse dégingandée. Vivant sa carrière comme sa vie dans l’instant et dans l’excès. Jusqu’à ce que, surprise, l’éternel funambule se mette à regarder dans le rétroviseur pour commettre sans doute la pire erreur de sa carrière: renouer avec Carl Barât, Gary Powell et John Hassall pour reformer ses Libertines. Et, pire, leur offrir un troisième disque qui sentait forcément plus la machine à fric que le nouveau souffle artistique. Déjà oublié le vilain Anthems for Doomed Youth. L’enfant terrible reprend ses aises et, sept ans après Grace/Wastelands, nous revient avec son deuxième album en solitaire. Enregistré avec Johann Scheerer (Dutch Uncles, Gallon Drunk) dans la ville portuaire teutonne où se révélèrent les Beatles, Hamburg Demonstrations n’est pas son disque le plus excitant, certes. Mais à l’exception de l’insupportable Birdcage, duo avec Suzi Martin écrit pour le film Confession d’un enfant du siècle de Sylvie Verheyde, il n’y a rien ici de déshonorant. Chanson de cowboy comme on en entend dans les bouis-bouis de la Route 66, Hell to Pay at the Gates of Heaven a été inspiré par les attentats de Paris. Là où Flags from the Old Regime est un tribute à feu sa pote Amy Winehouse. Du Doherty à la coule. Parfois touchant mais sans jamais trop se fouler. (J.B.)

Metallica – « Hardwired… To Self-Destruct »

ROCK. DISTRIBUÉ PAR BLACKENED RECORDINGS. ***

Huit ans. Cela faisait huit ans et autant d’étés festivaliers, depuis la sortie en 2008 de Death Magnetic, qu’on n’avait plus de vraies nouvelles discographiques de Metallica. La bande à James Hetfield avait bien fait joujou avec Lou Reed pour l’album Lulu inspiré par deux pièces de théâtre de Frank Wedekind (collaboration durant laquelle l’ancien Velvet provoqua tout de même Lars Ulrich à l’affronter dans un combat de rue). Puis sorti un film-concert en 3D, Through the Never, montré dans les salles Imax, et un live au Bataclan dont il reversa tous les bénéfices aux victimes. Précédé la veille de sa sortie par la publication sur Internet de clips vidéo pour tous les titres qui le composent, Hardwired… To Self-Destruct est un double album sans fioriture. Un double album de douze (longs) morceaux pour nous rappeler qu’en 35 ans Metallica n’a pas changé. Il a juste pris de l’âge et ne s’aventurera probablement jamais plus en dehors des sentiers battus. Un disque en colère. Sans génie. Toute guitare, toute batterie et tout James Hetfield dehors. (J.B.)

Jay Daniel – « Broken Knowz »

ÉLECTRO. DISTRIBUÉ PAR NINJA TUNE. ****

Du haut de ses 25 ans, Jay Daniel fait souffler un vent de fraîcheur exotique sur la scène de Detroit. La relève est assurée.

Fleuron de l’industrie automobile longtemps symbole de la prospérité américaine, Detroit est devenu en 2011 la plus grande ville des Etats-Unis déclarée en faillite. Ravagée par des coupes budgétaires dans l’éducation, la police, les transports ou encore les soins de santé, Motor City a ces dernières années commencé à se réinventer à coups d’initiatives solidaires, citoyennes et parfois même écologiques. Embrassant notamment le phénomène de l’agriculture urbaine. C’est de ce géant de briques, de ces friches post-industrielles entre herbes folles et immeubles en ruines, où se sont écrites quelques-unes des plus belles pages de l’histoire des musiques électroniques, que nous vient le jeune Jay Daniel. La pomme tombe rarement bien loin de l’arbre. Jay est le fils de Naomi. Chanteuse qui, début des années 90, donnait de la voix sur des productions de Carl Craig (Stars, Feel the Fire). Aujourd’hui âgé de 25 ans, le fiston s’est fait un prénom. Grâce notamment à des résidences avec son pote Kyle Hall. Devenu lui aussi l’une des plus belles promesses des dancefloors de la Motown.

Daniel et Hall se cachent derrière les soirées Fundamentals. Evénement house mensuel qu’ils firent voyager de Detroit à San Francisco en passant par l’Europe et Chicago. Après une poignée de singles et d’EP sortis sur le label de son pote (Wild Oats) et sur celui de Theo Parrish, Jay dégaine aujourd’hui chez Ninja Tune (via Technicolour) un premier album terriblement excitant d’électro métissée et vivante. Un album, il en est fier, qui promeut la culture d’une ville en reconstruction. « Je trouve mon inspiration chez des activistes sociaux et des jazzmen du passé, glisse-t-il dans une interview. Nombre d’entre eux semblaient avoir deviné ce qu’il résulterait de l’Amérique. »

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Déçu par les boîtes à rythmes et leurs difficultés à traduire des émotions autant que par le sort réservé à son pays, Jay est rentré chez sa mère. A ressorti ses baguettes. Réaménagé la cave. Et a décidé d’y enregistrer son album. Un album dingo, plus aventureux qu’agressif, avec de vraies percussions et des batteries dignes de ce nom. Jay n’est pas (encore) numéro 1 mais il tape sur des bambous (enfin sur ses fûts) depuis qu’il a trois ans… Et comme il l’espérait, il sonne aujourd’hui plus live et plus naturel que jamais.

Fan de J. Dilla, qu’il aime écouter en voiture (il apprécierait qu’on en fasse de même avec son disque), le génial producteur signe avec Broken Knowz une plaque ludique qui joue avec les textures et semble aussi appropriée à l’autoradio qu’à un repaire de clubbeurs ou à un sofa moelleux. Africains et latins, chauds et moites, mais toujours urbains, ces neuf titres vous emmèneront en safari à la découverte de la faune de Detroit et de ses nuits. It’s not only electronic baby… (J.B.)

Simian Mobile Disco – « Welcome To Sideways »

ÉLECTRO. DISTRIBUÉ PAR DELICACIES. ***(*)

Toute grosse pointure électro à la fin des années 2000, Simian Mobile Disco est tout doucement rentré dans le rang. A l’écart des projecteurs, le duo formé par James Ford et Jas Shaw n’en a pas moins continué de taper sur le clou, sortant à intervalles réguliers (quasi tous les deux ans) des albums tout à fait recommandables. Après l’excellent Whorl et son parti pris quasi ambient en 2014, SMD revient avec Welcome To Sideways. Laissant les expérimentations les plus radicales derrière lui, le binôme anglais se concentre ici sur une musique pour club toujours juteuse, jamais putassière. Renouvelant l’esthétique acid et les beats sombres des débuts, SMD continue à se montrer d’une efficacité redoutable. (L.H.)

Michael Mayer – « & »

ÉLECTRO. DISTRIBUÉ PAR KOMPAKT. ***(*)

Taulier de l’écurie Kompakt, Michael Mayer reste une valeur sûre de la scène techno allemande. Né en 1971 (du côté de la Forêt Noire), le DJ/producteur sort aujourd’hui un troisième album solo, très attendu, sur lequel il a multiplié les invités: un différent sur chaque titre. Ont ainsi été conviés la fête Joe Goddard (Hot Chip), Miss Kittin, Giu Boratto, Agoria, Prins Thomas, etc. Un vrai all-star band. Forcément, l’élastique se tend entre le disco light de Disco Dancers et la (very) deep house de Cicadelia, entre la techno de Gemination et la dark pop de Voyage Intérieur. Mais sans que le curateur Mayer ne perde tout à fait le fil, gardant avec intelligence l’église dance au milieu du village. (L.H.)

Otis Redding – « Live at the Whisky A Go Go: The Complete Recordings »

RÉÉDITION. DISTRIBUÉ PAR STAX. ****(*)

En avril 1966, Redding effectuait une opération commando à L.A., donnant pas moins de sept concerts en un seul week-end. Un tout nouveau coffret de six CD reprend l’intégralité des sets captés au fameux Whisky A Go Go. A l’époque, le patron de Stax, Jim Stewart, avait jugé les enregistrements trop bruts de décoffrage pour être publiés. Certes, le paquebot soul tangue parfois. Mais c’est ce qui rend l’entreprise d’autant plus fascinante, Redding se révélant tout bonnement impérial en soul man volcanique. Le grand homme décédera un an plus tard, dans un accident d’avion, âgé d’à peine 26 ans. La musique ne s’en est toujours pas tout à fait remise. (L.H.)

Court intensif

Plongée dans la jungle des maxis, EP, et autres formats XS, sortis ces dernières semaines…

On ne va pas se mentir: à part, éventuellement, via les héros du collectif de break NBS ou le label Crab Boogie, ce n’est pas à Namur que l’on espérait tomber sur du bon son hip hop. Il était cependant écrit que 2016 serait une toute grosse année pour le rap belge, et que la capitale wallonne aurait également droit à sa part du gâteau. La ola donc pour le nouvel EP de Tonino. Vainqueur du Rap contest organisé par Lézarts urbains en 2013, le Namurois vient de lâcher Entre-temps, cinq titres produits par John-Z, entre groove brumeux et trompettes jazzy (Brouillard). Costaud. De l’autre côté de la frontière, c’est le Prince Wally -oui, c’est bien lui- qui a réussi un joli coup avec l’EP Junior. En compagnie de Myth Sizer, le rappeur de Montreuil se montre aussi à l’aise dans le revival boom bap (Junior) que sur des beats plus modernes (Vinewood). Fresh Prince…

Elle a été glissée dans la liste des candidats au prochain BBC Sound of. De fait, les grandes manoeuvres ont commencé pour la jeune Anglaise Jorja Smith, qui vient tout juste de sortir un premier EP, intitulé Project 11. Repéré par Drake, son morceau Blue Lights s’est retrouvé nominé aux Mobo awards (les récompenses anglaises consacrées aux musiques black) l’an dernier. Aujourd’hui, Project 11 montre une chanteuse soul qui, loin des versions modernisées du genre, se pose comme le chaînon manquant entre Adele et Amy Winehouse, quand elle ne lorgne pas du côté d’une version confortable d’Erykah Badu.

Sinon, 2016 aura encore donné l’occasion à quelques grosses pointures de lâcher, in extremis, l’un ou l’autre ballon d’essai –Soulwax et les huit minutes de TRANSIENT PROGRAM FOR DRUMS AND MACHINERY pour annoncer la tournée (et l’album?)-, de balancer quelques inédits -Flume et les quatre titres bien sentis de Skin Companion, tout sauf des fonds de tiroir- ou de laisser tomber quelques titres du camion -les deux inédits de Burial, Young Death et Nightmarket, étonnamment limpides. (L.H.)

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