Les ruminations de Massive Attack

Sur la Gentse Sint-Pietersplein, le 28 août 2016. © Wouter Van Vaerenbergh
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Après son concert au Palais 12 en début d’année, le groupe repassait dimanche soir par Gand, pour sa seule date belge de l’été. L’occasion d’appuyer ses messages politiques, à défaut de renouveler sa musique.

« Et ils sont connus? », demande le vieux monsieur, manifestement perdu sur la St-Pietersplein de Gand, où Massive Attack était en concert de dimanche soir. Connu, le groupe anglais le reste en tout cas pour son premier chef-d’oeuvre (Blue Lines en 1991), et les deux classiques qui ont suivi (Protection et Mezzanine). Depuis, l’entreprise a continué, mais en se transformant: lentement mais sûrement, lorgnant vers des terres musicales toujours plus sombres, toujours plus froides. L’oppressant EP Ritual Spirit, sorti au début de l’année, a pu encore le confirmer…

Il constituait l’un des seuls signaux musicaux donnés par Massive Attack depuis longtemps. Le premier en tout cas, depuis Heligoland, sorti il y a maintenant 6 ans. Entre-temps, le groupe a occupé l’espace en tournant. Mais aussi en s’activant sur des terrains annexes: aussi bien technologiques (les nouveaux morceaux ont été publiés via une application inédite), que politiques. D’aucuns se demandent parfois où est passé l’engagement des artistes? Dans le cas de Massive Attack, il est clair. Frontal. Omniprésent.

À Gand, le concert s’ouvre ainsi avec Hymn Of The Big Wheel. Le vétéran Horace Andy en fait une sorte de supplique existentielle, à la fois mélancolique et réconfortante. Dès le morceau suivant, United Snakes, la charge est plus agressive: sur l’écran, les sigles des partis européens s’enchaînent, rentrent en collision, avant de virer à l’absurde. Derrière, la basse de Risingson n’a jamais semblé aussi menaçante. Plus tard, 3D présente Eurochild, comme « un requiem pour l’Europe post-Brexit », enjoignant le public à ne pas se laisser « séduire par les extrémismes de tous bords ».

(Faux) groupe de studio, Massive Attack a toujours été un drôle d’animal scénique, semblant souvent s’excuser à moitié d’être là. En 2016, c’est encore largement le cas. Les petits nouveaux, comme Azekel semblent s’être mis au diapason, confondant élégance et quasi effacement (Pray For Rain). Même quand Tricky, de retour, monte un peu le ton sur le nouveau Take It There, il a du mal à casser tout à fait le glacis.

La plupart du temps, les musiciens restent dans la pénombre. Il n’y a de toutes façons pas grand-chose à voir. Visuellement, le groupe ressort une nouvelle fois la formule éprouvée lors de ses dernières tournées: sur un écran-bandeau, défilent des messages comme des lignes de codes informatiques. Et, pour le coup, en néerlandais dans le texte. Waar ben je? Wie ben je? Wat is je definitie van moraliteit? Ce genre de choses. C’est plus gênant quand l’ordinateur malaxe les dernières nouvelles, comme sur Inertia Creeps, enchaînant des résultats de foot de la Jupiler League, au dernier bilan du tremblement de terre en Italie, en passant par les tribulations d’une star de téléréalité flamande. On comprend bien le message, merci – les dérives de l’infobésité, l’absurdité des fils actu, celle de l’infotainment… Mais en l’occurrence, mis à la sauce locale, le procédé distrait, plus qu’il ne sert le morceau.

Tout au long de la soirée, Massive Attack alterne ainsi le chaud et le froid, entre coups de colère et accès de désespoir. Avant l’unique rappel, l’écran enchaîne: « Je suis Charlie, Je suis Paris, Je suis Bruxelles, Je suis Orlando, Je suis Bagdad… » Une longue litanie, saluée à chaque fois d’applaudissements, qui résume bien un concert qui a passé son temps à ruminer la marche d’un monde qui semble tourner fou. « Nous sommes tous dans la même situation », ponctue le groupe. Entendez évidemment « dans la même merde ». Les seules réelles notes d’espoir ayant été distillées en début et fin de concert: en rappel, alors que l’écran enchaîne les portraits de réfugiés syriens, l’immense Unfinished Sympathy résonne plus que jamais comme une prière. De la compassion, puisque c’est tout ce qu’il reste.

SETLIST: Hymn Of The Big Wheel / United Snakes / Risingson / Man Next Door / Ritual Spirit / Girl I Love You / Future Proof / Eurochild / Pray For Rain / Angel / Inertia Creeps / Take It There / Safe From Harm // Unfinished Sympathy

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