Laurent Raphaël

Une foire taillée dans le rock

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

L’édito de Laurent Raphaël

Et vous le rock, vous l’aimez comment? Frappé comme un spasme punkoïde sur la face cireuse de l’Angleterre? Ou torturé comme une âme folk perdue dans les bois? Les 2 mon général. Plus besoin de choisir sa chapelle acoustique de nos jours. Quelle que soit sa grimace, le rock ne fait plus peur. Il ne sent plus le soufre mais la cocotte… La preuve, dans les grands magasins, on en vaporise l’atmosphère pour inciter à l’achat et non à la révolte. La faute au business, qui lui a limé les ongles et rafraîchi l’haleine. Ce qui lui a ouvert des oreilles jusque-là sourdes à la messe électrique.

Mais on n’a rien sans rien: pour se faire une virginité commerciale, le rock a dû mettre pas mal d’eau dans son gin. Il y a seulement 10 ans, les responsables de la Foire du livre n’auraient sans doute jamais osé placarder dans Bruxelles la devise anti-bourgeoise de Ian Dury: sex, books & rock’n’roll. Aujourd’hui, hormis des aigreurs d’estomac chez certains lettrés parcheminés, l’adjuvant pop ne fait pas de vague.

On se réjouit bien sûr de voir le monde de l’édition s’encanailler un peu. D’autant que, comme vous le lirez dans ce numéro, la littérature et la musique partagent quelques paires de chromosomes, les plus inflammables. En même temps, quand l’écran de fumée bobo se dissipe un peu, on se dit qu’il ne reste décidément plus grand-chose de l’incendie des origines. Une Foire du livre rock’n’roll, au sens mancunien du terme, aurait une autre gueule que le défilé policé de profs épuisés, d’élèves goguenards et de chasseurs d’autographes auquel on va sans doute avoir droit. Téléportée dans les années 60-70 -mais avant 73-74, qui marquent le crépuscule de cette folle aventure électrique (dixit Pacôme Thiellement)-, un rendez-vous placé sous le signe du rock aurait forcément fait des étincelles: les stands auraient volé, les livres remplacé les pavés pour canarder la police des consciences, les débats tourné au vinaigre idéologique, et les décibels recouvert le tout d’un nuage de vapeur apocalyptique et sensuel.

On doute que les éditeurs descendus de Paris -comme chacun sait, Paris surplombe le monde…- pour vendre un max de livres (et on ne les blâme pas, c’est beaucoup mieux que des fringues ou des voitures) goûtent l’idée de transformer Tour & Taxis en mini Athènes… On discutera donc urgence, contestation, mal-être juvénile, désir incandescent, passion dévorante, mais avec le petit doigt levé. Une trahison pour certains. Une aubaine pour d’autres. Même si le rock n’a plus sur le dos que les lambeaux de son glorieux et sulfureux passé, il peut encore servir la bonne cause. Celle de la lecture par exemple. Car s’il ne déplace plus les montagnes, il fait encore bouger les foules…

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