Petits mais costauds: les cafés-théâtres à l’honneur

L'Os à Moelle. © visit.brussels - Jean-Paul Remy
Estelle Spoto
Estelle Spoto Journaliste

Pendant un mois entier, le festival Bruxelles sur scènes met à l’honneur les cafés-théâtres de la capitale. Gros plan sur quelques-unes de ces petites salles portées à bout de bras par leurs responsables, affichant chacune une personnalité singulière.

Pendant un mois, Bruxelles sur scènes démontrera toute la diversité des genres programmés par les cafés-théâtres de la capitale. L’occasion d’aller écouter la kora d’Aboubacar Traoré, le trio féminin a capella Tibidi ou encore un cours d’histoire sur le jazz et le premier one-woman-show de Florence Mendez… Parmi la quinzaine de lieux qui participent, la Soupape, ouverte en 1978 et nichée derrière la place Flagey à Ixelles. Pas mal d’humoristes et de chanteurs s’y sont frottés pour la première fois à un public. Ou, près de la rue Belliard, au numéro 51 de la rue du Commerce, l’Atelier Marcel Hastir, où le peintre du même nom a transformé son propre atelier, acquis en 1935, en un lieu de découverte de jeunes artistes comme Charles Trenet, Jacques Brel, le danseur et chorégraphe Maurice Béjart ou encore la violoniste Lola Bobesco. Comment fonctionnent ces cafés-théâtres? Qui les gère? Pour le savoir, Le Vif/l’Express en a visité trois parmi les plus anciens.

L’Os à moelle

« Adeline Dieudonné est née ici », déclare non sans fierté Samuel Bernard. Encore trentenaire, cet ex-réalisateur de documentaires gère depuis presque quinze ans L’Os à moelle, une cave planquée à Schaerbeek au fin fond d’une cour. C’est là que la jeune écrivaine et comédienne récemment révélée par son premier roman La Vraie Vie, a rodé son seul- en-scène Bonobo moussaka. Une salle underground, dans tous les sens du terme. Mêlant velours rouge et dorures, ce cabaret ouvert en 1960, cofondé par le pionnier Jo Dekmine avant qu’il ne parte diriger le Théâtre 140, a hébergé les balbutiements artistiques de Maurane, Philippe Lafontaine, Arno et Pierre Richard. Barbara et le groupe pop rock belge Wallace Collection – avant même de s’appeler Wallace Collection – sont eux aussi passés par ici. Sous la direction de Samuel Bernard, le lieu – baptisé du titre d’un journal de l’humoriste et résistant français Pierre Dac – a élargi son panel, intégrant spectacles de théâtre, d’improvisation et les soirées Sassy Cabaret. L’Os a même sa propre bière, La Moelleuse.

Le Jardin de ma soeur

Le Jardin de ma soeur.
Le Jardin de ma soeur.© visit.brussels – Jean-Paul Remy

« Le café-théâtre sert souvent de laboratoire aux artistes. Face aux difficultés de cette petite scène ouverte sur la ville, ils doivent trouver des solutions »: c’est le constat posé par Arthème. Ce comédien formé au conservatoire de Bruxelles est, depuis 1991, à la barre du Jardin de ma Soeur – ici le nom vient d’un verset du Cantique des Cantiques, « Tu es un jardin fermé, ma soeur, ma fiancée ». Ce café au vieux parquet et paré de mille et une photos, peintures et pièces de brocante, offrant en prime une vue imprenable sur le grand bassin du Marché aux poissons, en plein centre-ville, a pour spécialité les petites formes théâtrales et les chansons à textes. « Je veux que ça communique », souligne Arthème, qui y a lui-même souvent joué les spectacles écrits par son père. La programmation affiche une prédilection pour les spectacles coquins mais raffinés. En octobre, Le Jardin reprenait par exemple Apologie du cul, une « traversée de l’histoire de l’érotisme », et propose en février La Tentation d’Edouard, basé sur le roman épistolaire plutôt chaud d’Elisa Brune.

Au Jardin de ma soeur, on peut caser tout au plus 50 personnes. « Ce que les gens apprécient avant tout ici, c’est la convivialité », explique Arthème. Mais cette convivialité a un prix. Pour conserver le caractère intimiste de leur lieu tout en gardant la tête hors de l’eau financièrement, les responsables doivent faire preuve de polyvalence et porter beaucoup sur leurs épaules. Arthème a appris son métier de patron de bar aux côtés de Georgette, l’ancienne tenancière (du temps où Le Jardin était un cercle privé). « J’ai dû tout apprendre de l’Horeca: comment porter un plateau, comment gérer la marchandise et la comptabilité. »

Le Café de la rue

Le Café de la rue.
Le Café de la rue.© visit.brussels – Jean-Paul Remy

Lorsque le rendez-vous avait été fixé par téléphone, on lui aurait donné 30 ans de moins. Alors, quand elle vient ouvrir la porte du Café de la rue, la surprise est de taille: Marie-Noëlle Doutreluingne a la voix vive et haut perchée mais porte les cheveux grisonnants de ses 73 ans. A l’intérieur, on se faufile le long de petites tables laquées vert bouteille, du lambris tout au long des murs, des affiches revendicatrices (un panneau artisanal marque aussi à la craie des résultats du championnat de foot) et d’un petit poêle trônant au milieu de tout: bienvenue dans l’un des plus anciens estaminets de Bruxelles, toujours dans son jus des années 1930.

La bâtisse est plantée en plein Molenbeek. Marie-Noëlle Doutreluingne l’a achetée en 1976 avec son mari Guido Vanderhulst, également fondateur de La Fonderie, le Musée bruxellois de l’industrie et du travail, situé à quelques centaines de mètres de là. « On voulait refaire le monde », avance cette mère de jumeaux, ancienne secrétaire à l’ULB, qui a toujours été bénévole ici. « Pendant des années, j’ai même payé ma place de concert! » Au départ, l’asbl à but social propose des cours d’alphabétisation, des conseils à la rénovation et une école de devoirs avant d’accueillir, presque par hasard, un premier concert, en 1980. De ses quelques projecteurs, le Café de la rue a éclairé Yolande Moreau, dans son premier one-woman-show, en 1982, Claude Semal, le Breton Gilles Servat, Bruno Coppens, le poète et chanteur Allain Leprest, mais aussi Bruno Brel, le neveu de Jacques, dont Marie-Noëlle est aussi l’agent. « La programmation se fait au feeling, ce sont des coups de coeur que j’ai envie de partager. »

Le Café de la rue propose à ses clients un véritable repas avant le concert. Et c’est Marie-Noëlle qui est aux fourneaux: « J’arrive au Café vers 11 heures pour réceptionner les ingrédients que j’ai commandés sur Internet, depuis Wellin, où je vis aujourd’hui, et je commence à cuisiner. Les artistes arrivent à 17 heures et c’est comme de la magie qui monte, jusqu’à l’apothéose qu’est le moment du concert. Le lendemain, je fais la vaisselle à la main – il n’y a pas de machine ici – du repas des 50 personnes et puis je vais prendre le train à 15 heures pour rentrer chez moi. » Sa motivation? « C’est chaque fois une bouffée de bonheur, toujours des moments exceptionnels, déclare-t-elle le visage fendu d’un sourire et des petites étoiles dans les yeux. Ça demande beaucoup d’investissement personnel mais j’en reçois énormément. » Ce matin d’octobre, il fait encore un peu frisquet à l’intérieur du Café de la rue, le petit poêle n’est pas allumé, mais on y sent la chaleur particulière de ces lieux qui ont une âme et sans lesquels Bruxelles ne serait pas tout à fait la même.

Bruxelles sur scène: du 1er au 30 novembre. www.bruxellessurscenes.be

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