Pas de piscine ni de hot tub pour les nazis: l’idée qui révèle votre degré de centrisme mou!

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Serge Coosemans
Serge Coosemans Chroniqueur

À Reykjavik, une éditorialiste de magazine rêve d’interdire les nazis de piscine. Si vous pensez qu’elle exagère, vous n’êtes peut-être pas du bon côté de l’histoire… a fini par estimer notre chroniqueur, après trois semaines de pensées turlupinantes. Noyer Hitler bébé et centrisme mou, c’est le Crash Test S04E40.

Mine de rien et j’exagère à peine, un petit édito à priori pas bien méchant publié dans The Reykjavik Grapevine a bien failli me gâcher mes vacances en Islande. Épuisé par des heures et des heures de landscape porn, de marche sur Mars et sur la Lune et d’air pur plutôt efficace pour décrasser le poumon bruxellois de ses particules fines, je me suis souvent tout simplement écroulé le soir, sombrant dans le coma après seulement deux secondes à peine de station horizontale et n’ayant donc pas le temps d’y penser. En revanche, sous la douche à 40 degrés qui sent l’oeuf pourri, durant les longs trajets zombiesques en bus Straeto et pendant les jours de glande surtout passés à me coller des Compeeds sur les pieds, mon esprit revenait sans cesse vers ce petit billet d’humeur lu au début de mon séjour, signé Natalie Ouellette et publié dans le numéro 8 du magazine gratuit islandais. Il a pour titre « les nazis à la piscine » et c’est un très bon test de personnalité.

Ouellette, installée depuis 5 ans en Islande, avoue dans son papier être régulièrement choquée, « à répétition », par le racisme qui existe dans le pays. Elle estime aussi que les Islandais sont beaucoup trop complaisants par rapport aux comportements problématiques de leurs compatriotes bas du front. Le racisme serait fort bien toléré, beaucoup trop. Un récent dimanche matin, l’éditorialiste raconte ainsi avoir emmené ses enfants à la piscine d’Arbaejarlaug (c’est à Reykjavik) et y avoir croisé deux types couverts de tatouages suprémacistes, dont des swastikas. Il y avait donc des nazis à la pistoche et tout le monde semblait s’en foutre. Sauf Ouellette, qui a été demander à un employé des bains s’il n’existait pas un règlement de nature à faire virer des lieux les deux gonzes. On l’a poliment envoyée bouler et ça lui a donné l’envie d’aller se plaindre aux autorités communales. Là, on lui a répondu que les tatouages relevaient tout simplement de la liberté d’expression individuelle. Ce qui, pour Ouellette, « sonne exactement comme la plate excuse que Trump tire de son cul quand il est pris à accepter de l’argent des suprémacistes blancs ». Selon l’autrice de l’article, les symboles de racisme et d’antisémitisme devraient en fait tout simplement tenir de « l’incitation à la haine » et donc être légalement pénalisés. Ce qui entraînerait de « profonds changements sociétaux », de nature à être remerciés par « les générations futures ».

Dans un premier temps, cet article m’a donc profondément énervé. Ouellette m’est simplement apparue comme une banale Social Justice Warrior complètement partie en pylsa (« saucisse » en islandais). Une Twitosse sortie de sa conciergerie virtuelle infernale pour manger le cerveau des vivants. J’ai même eu la vision de cet épisode Black Mirror où la technologie permet aux gens de bloquer de leur champ de vision les personnes qui leur déplaisent. Dans un tel monde, les nazis seraient bien entendu pixellisés dans le cortex de Ouellette et, très probablement, aussi dans celui de ses enfants, qu’ils soient d’accord ou non avec ce contrôle parental. La série de Charlie Brooker a laissé entendre que ce genre de protection pouvait s’avérer hautement problématique et je partage complètement cette vision pessimiste du safe space comme solution simple et pratique aux allergies sociales personnelles. Après, il faut bien avouer que j’ignore totalement s’il existe ou non un effrayant problème de racisme en Islande. Je n’y ai passé qu’une petite vingtaine de jours, pas cinq ans, et je n’ai pas croisé de nazis dans les douches des piscines et autres hot tubs relaxants. Le propriétaire d’une guesthouse m’a bien sorti une vanne très raciste mais elle était aussi fort drôle: « Tu peux laisser tes chaussures à l’entrée de la maison. Personne ne les volera. L’Islande est le pays le plus sûr du monde. On tue juste les touristes français, comme tout le monde, mais à part ça il n’y a aucune criminalité. »

Hitler à la piscine (Jeux olympiques de 1936)
Hitler à la piscine (Jeux olympiques de 1936)© Fox Photos/Hulton Archive/Getty Images

Dans les restaurants, les magasins et même les services publics, j’ai même vu quelque chose de pas raciste du tout, carrément impensable en Belgique, surtout en Flandre: des Islandais se faire servir en anglais par des saisonniers ne parlant pas un mot de la langue nationale. Il ne m’a pas semblé que ça dérangeait qui que ce soit mais bon… Accordons à Ouellette une indéniable expérience du pays que je n’ai absolument pas. Comment dès lors combattre le racisme en Islande (et ailleurs)? Des législations contre l’incitation à la haine et des cordons sanitaires politiques, d’accord, mais peut-on vraiment interdire la pistoche aux nazis, surtout que l’on parle bien ici de bêtes quidams, pas de leaders politiques ou de forces d’oppression? Que faire? On les fout dans des camps de rééducation jusqu’à ce qu’il ne reste plus aucune trace de racisme en eux? On leur applique une méthode à la Orange mécanique? Les nazis estimaient qu’il existait un pourcentage de sang qui distinguait les untermensch des bons aryens: on remixe ça façon SJW 2019 et on se demande à partir de combien d’idées racistes dans la tête on devient vraiment nazi? Et si on interdit la piscine inclusive aux nazis, est-ce que cela ne va pas donner l’idée à un nazi de construire un spa uniquement réservé aux nazis, le risque étant alors que les bains à bulles privés deviennent de nouvelles brasseries munichoises?

Les dix premiers jours, j’ai pensé que cet article m’obsédait surtout parce que je n’aime du tout le genre de personnage que semble être Ouellette. J’en connais, je me suis même pas mal frité avec certain(e)s de leurs équivalent(e)s belges durant cette dernière année. Pourtant et c’est bien pour cela que ce papier m’a tant turlupiné, je suis plutôt d’accord avec ce qu’il avance. Faire chier les nazis, participer à leur rendre l’environnement hostile, c’est une bonne occupation du temps. Saboter leur dolce vita, bien leur faire sentir que leur projet de société ne fait pas l’unanimité, malgré un retour de mode indéniable à échelle mondiale, c’est une croisade nécessaire. Ce qui m’a en fait profondément dérangé, c’est donc surtout ma modération d’un moment. D’avoir défendu l’idée que glisser une savonnette sous les pieds de ces deux fafs dans les douches d’Arbaejarlaug était tout à fait okay mais que chercher à leur interdire la piscine pouvait en fait s’avérer fondamentalement plus nazi que leur tatouage de croix gammée. Autrement dit, je me suis découvert sur ces questions éthiques un centrisme mou à la François Bayrou. J’ai percuté que j’étais du genre à balancer aux nazis historiques des « Bon ben, les gars, tant que vous n’envahissez pas la Pologne et ne construisez pas de chambres à gaz, vos blagues sur les minorités, on s’en bat un peu les couilles. » Et c’est plutôt effrayant de se découvrir comme ça mou du rouston. De défendre les fafs à l’insu de son plein gré. Imaginez que l’on me renvoie dans le temps pour tuer Adolf Hitler bébé. Je serais bien capable de trouver que c’est pas trop éthique de le noyer alors qu’il n’a encore rien fait. Surtout si l’activiste de gauche qui manipule la machine à voyager dans le temps refuse par ailleurs d’encore voir des films de Roman Polanski, en appelle au boycott de Louis CK jusqu’à sa mort et tweete en écriture inclusive. Bref, leçon principale rapportée de ces vacances: un peu revoir mes priorités.

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