Ouverture de Mons 2015: 3 événements à ne pas rater

Crazy House © Jacob Khrist
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Pour son ouverture du 24 janvier, Mons 2015 met le turbo dans une fête plurielle -et gratuite- où Focus coche trois événements, dont Dirty Monitor, ambitieux collectif de mappers carolos qui va plonger un bâtiment du XIXe dans la sci-fi 3D.

Ces dernières semaines, Mons 2015 a davantage fait parler de son ambitieuse année culturelle par la menuiserie périlleuse d’Arne Quinze que par son (vaste) programme à venir. D’où l’importance de gommer l’impression branlante du capricieux toit d’allumettes -finalement démonté deux semaines avant le lancement officiel de la fête- par un décollage vertical, apte aussi à disperser les flottements d’un Mons toujours en chantier. A commencer par la gare de la ville -dont la gestion appartient à la SNCB-, armada de containers pouvant elle aussi prétendre au titre d’oeuvre d’art équilibriste. On plaisante à peine. Philippe Kauffmann, 49 ans, autrefois programmateur rock aux Halles de Schaerbeek, aujourd’hui associé à la boîte de prod ciné La Parti, est « conseiller artistique en matière de fêtes et événements extérieurs de Mons 2015 ». Et donc bosse depuis des mois sur ce 24 janvier d’importance. Charbons ardents en Borinage? « Disons que ce qui est arrivé à l’installation de Quinze constitue un petit choc électrique et nous oblige à être encore plus attentifs à la sécurité dans l’espace public (1). Le risque, c’est que cette affaire masque la beauté des choses à venir. » Parmi la vingtaine d’événements de cette ouverture montoise, un maximum d’extérieurs et des étapes-refuges indoor dans quatre lieux emblématiques, Le Manège, La Maison Folie, L’Alhambra et le Conservatoire. « L’idée majeure, ajoute Kauffmann, c’est de se perdre dans la ville. » Pour y parvenir, suivez le guide.

1. Dirty Monitor: mapping au Carré des Arts

Kauffmann: « J’avais envie de voir renouvelé le style un peu galvaudé du mapping (technique de projection de lumière ou de vidéo sur des volumes, ndlr), style aujourd’hui mis à toutes les sauces. On oublie que c’est aussi une expression artistique et au Carré des Arts, on lui a trouvé un espace à 360°, comme un écran géant qui joue avec la construction: le spectateur se trouvera au milieu d’une agora ultime. Cela constitue une nouvelle forme d’écriture, une autre manière de raconter une histoire, une nouvelle pratique de narration. De plus, cela s’annonce bluffant au niveau de la sensation physique. »

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Dans un bureau du centre de Charleroi, des hommes et des écrans. Sur le double Mac encadré par deux mini-Bose, Mauro Cataldo lance l’intro des douze minutes qui vont mapper le Carré des Arts, édifice vintage construit à la veille de l’indépendance belge. Un visage casqué, féminin, trône dans un univers tubulaire, dont les teintes grises-kakis bleutées annoncent le caractère majeur d’anticipation. A peine ce totem humanoïde démasqué, la caméra est aspirée vers le bas, comme un ascenseur dévalant les étages de métalliques entrailles aux alignements sériels. Sensation de fabuleuse plomberie gothique ou de termitière-bunker aux pâleurs dark, le tout sur des grognements de basse sourde et de bruitages mouillés qui attaquent les tripes. La chose fait effet. Evidemment, ce n’est qu’un zakouski puisqu’en « vrai », le mapping de ce 24 janvier ne sera pas frontal mais projeté sur les quatre façades du Carré montois. On s’imagine bien avalé dans cette féérie inspirée par l’univers résiduel de Dirty Monitor, où l’on pointe aussi bien Goldorak que H.R. Giger, génial créateur des frayeurs visqueuses d’Alien. Et un net rappel du visage de Björk dans le clip d’All is Full of Love, tourné en 1999 par Chris Cunningham. Mauro: « On puise dans ce que l’on aime, dans Dune par exemple -le film de Lynch-, parce qu’on est fans de robots, de science-fiction, et que c’est notre façon de croiser avec ce mapping le thème que Mons 2015 voulait créer: amener de la technologie via l’artistique. Ce qui donne cette poussée progressive de végétation dans ce qui est aussi un voyage immersif vers le centre de la Terre, d’où également cette plongée dans une forge. »

Orphée et Mauro Cataldo
Orphée et Mauro Cataldo© Philippe Cornet

Titre de la performance: Cloé. Six mois de travail et une dizaine de collaborateurs pour un budget de « 150 à 200.000 euros ». Créé il y a une dizaine d’années, Dirty Monitor est initialement un collectif: depuis quelques mois, vu l’internationalisation et la prolifération des commandes, Mauro Cataldo et son frère Orphée ont formaté la structure en société commerciale (sprl). Ces deux quadras (ou presque) carolos aux formations diverses -infographie, architecture- se sont réinventés dans un grand mix qu’on pourrait qualifier, lui aussi, de 360°. Leur audio-visuel tactile croise à la fois les techniques du dessin, du design, de la 2 ou 3D, la matière sonore qui en sera la BO et des ambitions artistiques prononcées. Ajoutez-y la nécessité de devoir à chaque aventure dimensionner la cible –« parfois avec les scans dont se servent les géomètres »– et maîtriser un matériel de projection conséquent: beaucoup de données et de sources pour une équation complexe. Mauro: « Pour le 24 janvier, le spectacle va utiliser pas moins de 20 projecteurs d’une puissance chacun de 40.000 lumens: il faut savoir qu’un film à Kinepolis, c’est un seul projo de 20.000 lumens. De toute façon, on s’adapte forcément à la luminosité de l’endroit en considérant qu’il n’est pas toujours possible d’éteindre toute la ville environnante pour faire son mapping (sourire). Ici, à Mons, on va bénéficier d’une belle qualité de noir. »

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C’est plus difficile à Oman ou à Dubaï, où Dirty Monitor a mené des projets en véritable pigeon mapper-voyageur. En effet, des Pias Nites au show barnum Peter Pan, de Munich à Genève, de Shanghai à Singapour, la société de Charleroi est globe-trotteuse. Avec pas mal d’événements déjà montés en Chine, « pays compliqué » vu les conditions administratives et fiscales, sans oublier le peu d’anglais circulant dans les négociations souvent menées avec des hordes d’interlocuteurs. Là, Dirty Monitor bidouille à Harbin, au nord de la Chine, dans une création circassienne signée Franco Dragone. Moins par la connection italienne -la famille de Mauro et Orphée vient des Pouilles et de Calabre- que par un professionnalisme belge reconnu à l’international. Et dans ces créations contrastées -le mapping sur un avion de ligne au repos ou une soirée de mix live au Rockerill-, Dirty Monitor gère un désir ludique, des idées narratives, un visuel explorateur, au-delà des barrières d’âges et de cultures. « Et il y a aussi ce truc unique lié au mapping: si tu as raté la représentation, tu ne le verras plus jamais », précise Mauro devant une soupe, même pas chinoise, au centre de Charleroi.

2. From Woodstock With Love au Théâtre Le Manège

Kauffmann: « L’idée est née en discutant avec Daniel Cordova du Manège, théâtre qui trimballe un peu l’image de « grande culture », travaillant beaucoup le texte: on a eu la volonté de détourner les espaces et les a priori. Je ne sais plus qui a suggéré Woodstock, mais on a saisi la volonté de fêter l’amour, d’être dans un esprit peace & love, mêlant jeunes et moins jeunes, y compris avec une conférence de Marc Ysaye (sourire). Ensuite, on a commencé à faire des listes de chanteuses: chacune mêlera le répertoire de la fin des années 60/début 70 à ses propres compos… »

Dom La Nena
Dom La Nena© DR

On ne verra donc pas Maurane ou Axelle Red bourlinguer Sly Stone/Joe Cocker dans l’esprit boueux du fameux festival hippie, mais bien cinq interprètes jeunes aux voix porteuses, plutôt entre folk nu et vapeurs baroques. La plus connue du lot -et la plus conventionnelle- est Sarah Carlier, dont la folk-soul trouve sur scène son lot de vitamines cacao. Autre bruxelloise, d’adoption, la Française Clare Louise/Claire Girardeau, habituellement frappée du très audible syndrome Joni Mitchell: pour la circonstance, elle reprend Jefferson Airplane et Nico. Cette dernière ne fut pas de la party Woodstock, pas plus que Bowie et Simon & Garfunkel dont Barbara Carlotti a sélectionné quatre classiques (Changes, Rock’n’Roll Suicide, The Boxer, The Sound of Silence). Curieux d’entendre comment l’aînée de la soirée -née en 1974- fondera dans son grave larynx à la Barbara le glamour lamé de l’Anglais et la fraternité des duettistes new-yorkais. Deux quasi-inconnues bouclent la sélection: la Brésilienne Dom La Nena, 25 ans, originaire de Porto Allegre, et Sonnfjord alias Maria-Laetitia Mattern. La première a le bon goût d’avoir travaillé avec Piers Faccini et on l’attend dans ses covers de John Denver, Dolly Parton et Joan Baez. La seconde, made in Brabant wallon, n’a pas encore précisé ses choix mais son teint vocal aquarelliste suggère déjà de probables parfums de « peace and love ». Le tout est coaché par Richard Robert, ancien des Inrockuptibles, passé aux travaux pratiques de la musique: dans un coin intime du Manège, il reprendra, à la demande, des chansons de ces années-là…

3. Crazy House By Maison Folie

Kauffmann: « En 2004 aux Halles de Schaerbeek, j’ai vécu une expérience ultime avec Fanny Bouyagui et sa troupe, sorte de grande famille punk & stylisme, qui travaille dans d’énormes entrepôts à Roubaix. La Maison de folie de Mons 2015 va accueillir chaque mois de l’année des villes européennes, et il était logique de commencer par Lille, qui a été Capitale Européenne de la culture en 2004: l’expérience y a très bien fonctionné et a changé la donne de la ville. Fanny est l’une des personnalités incontournables du Pas-de-Calais, c’est aussi une faiseuse de fêtes… »

Fanny Bouyagui
Fanny Bouyagui© DR

La quinqua en question (1960) fait dans le visible: dreadlocks remontés en sauce, peau tatouée, regard de biche qui va bouffer le chasseur. Cette énergie-là est native de Roubaix, mortifiée par les crises économiques successives mais refusant le coma culturel des années de plomb. Drôle de soldat qui passe aux Beaux-Arts de Tourcoing après avoir décroché un CAP de couture. Tout est sans doute dans ce mix improbable de portée populaire et de recherche esthétique, comme si la mode (vestimentaire) était porte-parole du désir de changement et non pas pure convention de commerce. Fanny Bouyagui se fera notamment remarquer à Avignon en 2005 par une relecture multimédia de Cendrillon et des modèles esthétiques vendus par la pub. Dans l’expo Soyez les bienvenus, elle racontait l’histoire d’un immigré sénégalais ayant traversé frontières et violences, du Niger à l’Europe. C’était en 1957 et l’homme était son père. Le ton est moins grave pour le passage montois qui propose un « univers féérique où se mêlent installation vidéo, musique, art culinaire et performances. Une galaxie parallèle peuplée par des êtres d’un nouveau genre. » Fanny installe dans les pierres pas si raisonnables du Hainaut un cabinet de curiosités: via un jeu de miroirs, celui-ci nous renvoie des images drôles, déformées, loufoques de notre propre narcissisme contemporain. Tout un programme.

INFOS ET PROGRAMME SUR WWW.MONS2015.EU

(1) PROPOS RECUEILLIS AVANT LE DÉMONTAGE DU PASSENGER D’ARNE QUINZE.

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