Critique

Lovecraft Country: Monstres et cie

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Nicolas Bogaerts Journaliste

L’adaptation télé de Misha Green (Heroes, Underground) du roman de Matt Ruff oscille entre suspense, horreur et, redonnant la voix aux dominés de la ségrégation, offre la sculpture au burin d’une Amérique blanche et monstrueuse, que son racisme aigri rend formidablement moche.

L’auteur américain H. P. Lovecraft (1890-1937) a créé une oeuvre littéraire fantastique d’une immense influence. Développant un cycle de folklore macabre, panthéon de créatures et de phénomènes qui ébranlent l’anthropocentrisme du monde, son oeuvre, née dans un contexte ségrégationniste, a pu flirter avec les théories racistes. Le roman Lovecraft Country, édité en 2016 sous la plume du romancier et auteur de comics Matt Ruff, se joue de ce contexte noueux pour narrer, en pastiche SF, le road trip d’une famille afro-américaine à travers l’Amérique suprématiste des années 50, une quête paternelle en mue mystique. L’adaptation de Misha Green (Heroes, Underground), oscille entre suspense, horreur et, redonnant la voix aux dominés de la ségrégation, offre la sculpture au burin d’une Amérique blanche et monstrueuse, que son racisme aigri rend formidablement moche.

Vétéran de la guerre de Corée, le jeune Atticus (Jonathan Majors) reçoit un mystérieux courrier de son père disparu, Montrose (Michael Kenneth Williams), l’informant d’un héritage secret qui l’attendrait dans la ville d’Ardham, Massachussets -Atticus, fan de SF, la confond d’abord avec la cité lovecraftienne d’Arkham. Accompagné de son oncle George (Courtney B. Vance), auteur d’un « Safe Negro Travel Guide » inspiré du Green Book des voyageurs afro-américains, et de son amie d’enfance Letitia (Jurnee Smollett-Bell), il embarque dans un dangereux périple pour renouer avec l’héritage paternel.

Tout débute par une traversée périlleuse dans l’Amérique ségrégationniste, peuplée de Blancs tour à tour bêtes et malfaisants. Comme si ce n’était pas suffisant, la menace s’enfonce dans l’univers effrayant imaginé par Lovecraft, peuplé de philtres, de rituels magiques, d’arcanes mystiques, d’où surgissent des créatures funestes. Balancée entre les univers parallèles des années swing, celles de la naissance du rhythm and blues et du rock ‘n’ roll, et les étrangetés gothiques des récits SF de l’époque, la quête se divise en chapitres géographiques, chacun avec ses mésaventures et résolutions propres, au cours desquelles Atticus prend les traits d’un nouvel élu. Au bout des cinq épisodes ressortent des impressions diffuses d’une oeuvre bouillonnante, capable de traits grossiers comme de finesse ciselée. Mais une oeuvre incroyablement lettrée, qui fait mieux que s’inscrire dans une Histoire: elle arrache la plume et écrit la sienne, déboulonnant au passage la blancheur monumentale des thèmes de la science-fiction.

Série créée par Misha Green. Avec Jonathan Majors, Jurnee Smollett-Bell, Courtney B. Vance. ****

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