L’oeuvre de la semaine: Eloge de l’autodidacte

Personnage avec accessoire, 2014. C Georges Bru.
Guy Gilsoul Journaliste

Si le ministère français de la culture fut inventé à l’heure de Vichy, l’école d’art le fut sur l’ordre de Louis XIV. La mainmise du politique (ou de ses ayant droits) sur l’apparente liberté des lieux où l’art s’enseigne n’échappe pas à la critique que lui adressait, dans les années 1940, Georges Bru : « des rails… » En choisissant d’être autodidacte, l’Occitan d’Albi né en 1933 prit le temps de choisir ses préférences et d’en changer.

De peindre d’abord mais toujours en noir et blanc pour, peu, à peu, en inventant ses propres techniques, laisser apparaître sa singularité. Au fil des seventies, elle se précise et se nourrit du seul dessin laissant naître des formes contrastées d’abord puis de plus en plus évanescentes. Jouant des épousailles des crayons de cire et d’un papier arche 400g (ne lui parlez pas d’un autre), multipliant les techniques (grattage, frottage, encres, acrylique, colle et térébenthine), il multiplie ce qu’il appelle des « exercices ». Cette matérialité du dessin est chez lui primordiale et gagne des raffinements troublants. Car, parallèlement, ses représentations d’hommes et de femmes, toujours sans décor mais avec parfois, l’un ou l’autre « accessoire », rejoint l’étrangeté. Les titres pourraient ajouter au mystère. Au contraire, ils ramènent l’image à ce qu’elle pourrait être si…: « Personnage debout », « Personnage en mamamouchi », « Personnage à mi-corps », « Personnage à l’angle droit », « Personnage penchant à droite », « Personnage pris en sandwich »… En effet, dans l’épaisseur de cette « Teknè », avec la complicité d’un détail échappant à toute verbalisation et celle de teintes à peine naissantes, l’oeuvre pénètre dans l’uchronie et l’humain devient fantôme, impalpable présence toujours à la marge du rêve, entre sensualité gourmande et cruauté vaporeuse. Ainsi l’autodidacte qui préfère au mot artiste celui d’artisan ou d’amateur, pourrait-il se retrouver dans cet « Homme sans qualité » qui faisait écrire à Musil « Aucune chose, aucun moi, aucune forme, aucun motif n’est assuré, tout est emporté dans une métamorphose universelle invisible, mais jamais au repos ».

Bruxelles, Galerie dYs. 84 rue de l’arbre béni. Jusqu’au 29 juin. Je-Ve 11h-18h, Sa et Di 14h-18h. www.galeriedys.com

Légende : Personnage avec accessoire, 2014. C Georges Bru.

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