Laurent Raphaël

L’édito: Remède à la mélancolie

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Parce que la forêt amazonienne part en fumée, parce qu’on élève des vaches qui mangent le soja cultivé sur les parcelles réduites en cendres du Brésil, parce que l’inconnu habite toujours au 16 rue de la Loi, (…)

(…) parce que la Belgique ressemble de plus en plus à une vieille tante barbue dont plus personne ne veut s’occuper et encore moins embrasser, parce que des ouragans défigurent les cartes postales de destinations paradisiaques où nous n’irons jamais mais qui nous faisaient rêver, parce que le Groenland est devenu une nouvelle case du Monopoly, parce qu’il y aura bientôt plus de poudreuse dans une boule à neige de la tour Eiffel que sur les sommets des Alpes, parce que les Anglais ont de nouveau tiré les premiers mais dans notre dos cette fois-ci, parce que l’Europe ne fait plus rêver que les Chinois pleins aux as qui raflent ses ports grecs et ses vins français, ou alors les désespérés de toutes les causes perdues qui raflent ses miettes et c’est déjà trop, parce que Yann Moix confond littérature et règlement de compte, parce que Yann Moix vient grossir la longue liste de ces écrivains français qui ont fricoté avec l’extrême droite avant de se rependre ou non (Céline, Drieu, tout ça), parce que l’avenir ressemble à une impasse malfamée du New York des années 80, mais en moins ensorcelant quand dans un roman de Hubert Selby Jr., parce que la jeunesse de Hong Kong rugit mais va finir par se faire écraser sous la botte de Pékin, parce que ce printemps-là ne suscite que peu d’empathie en Occident alors qu’il porte nos valeurs -si ce mot a encore un sens-, parce que la décroissance est une belle idée qui se heurte au pouvoir de consolation de la consommation, parce que l’ogre russe cultive toujours le culte gluant du secret, surtout quand il s’agit de petits pépins ou de gros noyaux nucléaires, parce que les chefs d’État qui se prennent pour les marionnettes des Guignols, c’est rigolo un moment mais ça ne fait plus rire quand l’insulte, l’amnésie, la démagogie et le mensonge deviennent leurs seules boussoles pour diriger un pays et surtout leurs propres intérêts, parce que les femmes s’en prennent toujours plein la gueule, au propre et au figuré, au XXIe siècle, comme au XXe, comme au XIXe, comme au XVIIIe, etc., parce que va-t-en expliquer la fluidité des genres à ton fils de douze ans sans passer pour: a) un indécrottable réac, b) un prosélyte du relativisme sexuel, parce que ce matin trois automobilistes ont tenté de m’assassiner mon vélo et moi quand je tentais simplement d’user de ma priorité, parce que ce matin j’ai failli défenestrer, étrangler et dépecer trois automobilistes, parce que vivre est épuisant, parce que je ne serai jamais Faulkner, Baudrillard, Baudelaire et encore moins Virginia Woolf…

Les chefs d’État qui se prennent pour les marionnettes des Guignols, c’est rigolo un moment

Pour toutes ces raisons, cette semaine, on s’offre une cure de vitamine chromatique avec cette frise signée Georges Meurant. On se laisse hypnotiser par cette véranda ouverte sur l’être et le néant qui rappellera aux uns les prouesses figuratives d’un Commodore 64 poussé à son maximum, aux autres la vision fugace et sous ecstasy d’une ville la nuit, à d’autres encore le tableau qu’aurait exécuté l’enfant de Mondrian et de Monet. On plonge dans ce « champ figural » comme dans une piscine bleu azur de David Hockney. Soudain, après dilatation oculaire, le monde n’est plus qu’un assemblage de carrés et de rectangles colorés, une simplification-sublimation de la complexité de l’époque, un refuge capitonné d’aplats pour esprit torturé. Chaque jour, on explorera une nouvelle case, pour se laver le regard de la suie grisâtre qui s’y sera accumulée…

L'édito: Remède à la mélancolie

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content