Critique

Le film de la semaine: Cemetery of Splendour, à l’horizontale

Cemetery of Splendour d'Apichatpong Weerasethakul © DR
Matthieu Reynaert Journaliste cinéma

DRAME | Cinq ans après une Palme d’or polémique, Apichatpong Weerasethakul s’affirme comme une force tranquille du cinéma d’avant-garde.

Dans un hôpital de fortune installé dans une ancienne école sont soignés une quarantaine de soldats atteints d’une mystérieuse maladie du sommeil. Jen, une femme âgée et un peu amère, s’est portée volontaire pour veiller sur l’un d’eux, à qui sa famille ne rend pas visite. Elle développe pour lui une affection disproportionnée qui n’est que renforcée par la présence d’une jeune et jolie médium qui assure pouvoir communiquer avec l’esprit des soldats endormis.

Malgré ses prémices, Cemetery of Splendour est bien plus ancré dans la réalité que les précédents opus du réalisateur (lire son interview dans le Focus du 28 août) de Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures. Ne serait-ce que parce que c’est avant tout un film sur les corps. Dès les premiers plans, la caméra observe le pied bot de Jen et plus tard sa jambe difforme (c’est d’ailleurs celle de la comédienne, Jenjira Pongpas Widner, une fidèle de Weerasethakul, victime en 2003 d’un accident de voiture qui l’avait poussée à mettre sa carrière entre parenthèses). Il y a aussi les corps des soldats, scrutés et nettoyés par Jen et les infirmières. Corps urinant, déféquant, en érection. Les silhouettes jeunes et enviables de la médium et des déesses locales. Ou encore les séances d’aérobic auxquelles participent Jen et son mari, un Américain qui fait deux têtes de plus que tout le monde.

A double tranchant

Bien sûr, les limites de ces corps sont sans cesse opposées à la puissance de l’esprit, mais pas forcément dans l’optique métaphysique classique qui veut que l’âme soit supérieure à la chair. Ici les fantasmes suscités par les soldats, mais aussi les légendes locales ou les soupçons complotistes entourant le chantier qui va bientôt raser l’école sont des échappatoires à double tranchant. On s’y enferme, plus comme on se drogue pour oublier que comme on cherche la paix intérieure. Et si l’héroïne garde toujours sa contenance, ses frustrations (physiques, sexuelles mais aussi relationnelles) affleurent en permanence et en font une figure fascinante, à défaut d’être aimable.

Choisissant une caméra très calme, qui utilise presque exclusivement les plans larges, et une photographie très douce (que l’on doit au chef opérateur mexicain Diego Garcia), Apichatpong Weerasethakul raconte son histoire de mystères et de grands sentiments avec beaucoup de distance. Il laisse les bâtiments vieillissants et la forêt accablée de chaleur prendre le pouvoir sur l’image. Tandis que les néons colorés installés pour apaiser les soldats guident ce qui s’apparente quasiment à une méditation pour le spectateur. De fait, si le film n’est pas spécialement long, sa lenteur en découragera beaucoup. Mais ceux qui se laisseront porter par ce rythme lancinant de berceuse seront récompensés par la vision d’une réalité, non pas parallèle, mais disons oblique.

DRAME D’APICHATPONG WEERASETHAKUL. AVEC JENJIRA PONGPAS WIDNER, BANLOP LOMNOI, JANRINPATTRA RUEANGRAM. 2H02. SORTIE: 02/09.

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