Critique

[Le film de la semaine] An Elephant Sitting Still, dernier train pour…

Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

DRAME | An Elephant Sitting Still orchestre le ballet d’individus en quête de sens dans la Chine contemporaine. Une oeuvre désespérée d’une lancinante beauté.

À l’instar de Charles Laughton avec La Nuit du chasseur, Hu Bo restera l’auteur d’un unique film touchant à la perfection. Pour des raisons différentes cependant, le réalisateur et écrivain chinois de 29 ans s’étant donné la mort après avoir achevé la postproduction de An Elephant Sitting Still, chronique d’une absolue noirceur de la Chine contemporaine comme de la condition humaine.

Inspirée de l’une de ses nouvelles, l’histoire a pour cadre une ville postindustrielle du nord de la Chine plongée dans une brume perpétuelle n’offrant que peu de lignes de fuite à ses habitants. Tout au plus si, horizon chimérique, circule la légende d’un éléphant qui serait assis, en silence, dans le zoo de Manzhuli, indifférent au chaos du monde. Soit le fil mythique reliant les différents personnages auquel va s’attacher le film, le temps (suspendu) de 24 heures: voyou rêveur couchant avec la femme d’un ami qui, partant, se jette par la fenêtre; ado sur qui pèse une menace sourde depuis qu’il a bousculé le caïd du lycée; jeune fille ayant une liaison inavouable; vieil homme promis à un hospice sinistre -un travelling vaut mieux que de longs discours- par sa famille. L’échantillon d’un monde livré à la violence sociale et à l’humiliation, l’humanité en veilleuse. Palette de protagonistes en quête de sens que le scénario, labyrinthique et sinueux, va bientôt s’employer à relier en un mouvement auquel la pénombre enveloppant les choses et les êtres vient donner un tour comme hypnotique. Et la caméra de glisser, dans la fluidité des plans-séquences (Hu Bo est un disciple de Béla Tarr), presque indistinctement de l’un à l’autre -aussi vrai, du reste, qu’ils sont tous englués dans un même marasme, leurs allées et venues pour conjurer le mal de vivre apparaissant bien dérisoires…

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Ailleurs hypothétique

« À notre époque, il est de plus en plus difficile d’avoir foi ne serait-ce que dans la plus infime chose qui soit », écrivait Hu Bo dans sa note d’intention, donnant la mesure désespérée de son propos, à l’aune de l’évolution de la Chine d’aujourd’hui, figée pour le coup dans une texture n’étant pas sans évoquer, par endroit, le Black Coal, Thin Ice, de Yi’nan Diao. Mais si ses personnages semblent destinés à rester en rade, à quai d’un train qui ne partirait d’ailleurs pas, An Elephant Sitting Still esquisse aussi, au plus fort de sa résignation désabusée, une fragile solidarité. Et la nuit d’en apparaître, peut-être, moins inhospitalière, à condition d’y aller voir. Ce qui fait aussi la force singulière d’une oeuvre convoquant des sentiments paradoxaux, sans conteste l’un des films les plus stimulants sortis depuis longtemps, alliant à l’ampleur du récit une lancinante beauté. Un chef-d’oeuvre aussi fulgurant que définitif, à découvrir absolument.

De Hu Bo. Avec Peng Yuchang, Zhang Yu, Wang Uvin. 3h54. Sortie: 01/05. *****

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