La culture à Bruxelles, espèce en voie de disparition

Les risques de fermeture des gares de Bruxelles-Chapelle et Bruxelles-Congrès inquiètent les ASBL locataires des lieux. Les problèmes de voisinage ne cessent de tracasser les salles de concerts du centre-ville. Pas toujours évident de faire vivre la culture à Bruxelles.

Face aux différents plans qui circulent concernant le dédoublement voire l’élargissement de la jonction Nord-Midi, les ASBL Recyclart et Congrès, entourées de l’Agence de Développement Territorial et du Bouwmeester de la Région de Bruxelles-Capitale, se sont décidées à jeter un pavé dans la mare et à attirer l’attention sur l’avenir de cette infrastructure et des gares qui la composent. Pendant deux ans, à partir de septembre 2011 jusqu’en juin 2013, JONCTION, une programmation de conférences, de débats, mais aussi d’expositions, d’installations artistiques, de promenades guidées et de projections, mettra le débat sur la place publique.

La culture et la ville ne font pas toujours aussi bon ménage qu’on le pense. Au-delà des questions d’urbanisme, à Bruxelles, pratiquement toutes les salles de concerts du centre et d’ailleurs ont été ou sont confrontées à des problèmes de voisinage. De Madame Moustache à l’Ancienne Belgique (tout doit y être terminé pour 22h30, ce qui explique que les Queens jouent une demi-heure de moins à Bruxelles qu’à Cologne…) en passant par les Ateliers Claus ou le DNA.

Les nuisances sont essentiellement liées à deux problématiques. Une mauvaise isolation acoustique des lieux d’une part. Résoluble avec des travaux et de l’argent. Des visiteurs plus ou moins indisciplinés qui font du boucan et foutent le bocson dans les rues d’autre part. Ce qu’on peut enrayer avec un service d’ordre mais se révèle déjà plus compliquéà gérer. Les permis d’environnement prévoient des règles (nombre de soirées, volume, sécurité) afin d’éviter les nuisances.

A l’Atelier 210, théâtre qui organise une cinquantaine de concerts par an, on s’est calmé sur les fêtes. On s’empêche de programmer de l’électro ou du dub avec des basses qui dézinguent. On ne prévoit plus rien de trop bruyant après 22h30. Xavier Daive, directeur artistique musique et production, pose une réflexion lucide et mesurée sur la situation: « Nous nous sommes installés dans une zone résidentielle. Ce n’est pas à nous d’imposer notre loi. Je peux me mettre à la place du mec qui voit une salle débarquer près de chez lui, est dérangé au point de ne pas pouvoir dormir alors qu’il bosse le lendemain à 6 heures du matin. Par contre, je ne peux pas comprendre le type qui loue un appartement du centre ville au-dessus du DNA et qui appelle les flics parce qu’il y a trop de bruit. Faut savoir qu’une seule personne se plaint au commissariat et vous avez la police qui débarque. »

« On devrait limite ajouter une clause dans le bail: je reconnais m’installer dans une ville vivante », plaisante le responsable d’une salle bruxelloise qui préfère garder l’anonymat.

NIMBY

« Je pense que nous avons droit au retour de balancier d’une société de plus en plus politiquement correcte, avance Laurence Jenard, directrice du Recyclart dont l’une des missions est de montrer qu’on peut allier rénovation urbaine, culture et économie. Un phénomène lié au fameux effet NIMBY. Not in my backyard. Les gens me semblent souvent moins tolérants que dans les années 70 et 80. »

Certes, on a toujours connu le voisin qui tape au plafond ou sur le plancher avec son balai. Sauf qu’aujourd’hui, il envoie les keufs. « On peut éventuellement trouver des bouts d’explications dans la géographie de cette ville où tout le monde vit l’un sur l’autre, reprend Xavier Daive. Mais il y a aussi et surtout une question de choix politique. Le choix entre une ville qui bouge et une ville qui se meurt. Si on poursuit dans cette direction, Bruxelles perdra son statut de capitale. Il ne s’y passera plus rien. Paris est selon moi symptomatique de ce qui risque de nous tomber dessus. La nightlife parisienne est en train d’agoniser. Le choix aussi de mener une politique électoraliste. Et ce ne sont pas les prochaines communales qui vont nous aider à en sortir. »

Source d’apaisement, le 210 a été à la rencontre de ses voisins pour casser une image de punks voire d’extra-terrestres. Le Recyclart développe sa programmation en lien avec le quartier. Invite les talents du coin dans ses murs. « Nous sommes dans une relation individuelle avec les gens, précise Laurence Jenard. Nous ne passons pas via les associations. Mais ça prend du temps. Quelques années plus que quelques mois… »

Quoi qu’il en soit, l’interdiction de fumer dans tous les lieux publics fermés, le 1er juillet, ne va évidemment que faire empirer la situation. Augmenter drastiquement le nombre de personnes en train de traîner devant le moindre établissement. « Quand t’es alcoolisé, tu as la voix qui porte. Je ne dois pas vous faire un dessin. Le client idéal, ce serait quelqu’un qui ne boit pas, ne fume pas et évite de parler trop fort », fatalise notre anonyme.

En attendant, les petites salles vont à la rencontre de grosses difficultés. « Si les concerts doivent être finis pour 22h30, tu ne peux plus faire dans la découverte. Tu te ramasses la concurrence des artistes confirmés qui jouent au Bota ou à l’AB. Puis ton bar en prend un coup. Il y a quelque part un paradoxe à vouloir développer la culture et la création et à tuer les activités nocturnes. La journée, les gens n’ont pas de temps à leur consacrer. Ils triment… »

Julien Broquet

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