Ivre, il réussit à connaître la fin de Blade Runner 2049 trois jours avant la sortie du film

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Serge Coosemans
Serge Coosemans Chroniqueur

Parler de cinéma sans avoir vu le film est tout à fait possible selon Serge Coosemans, vu qu’il s’agit moins de causer de Blade Runner 2049 que du rapport actuel de certains amateurs aux films qui sortent, de la méfiance de la critique, du spoiler comme argument de vente et de la laideur des campagnes marketing. 1982, 2017, 2019 et 2049, c’est le Crash Test S03E05.

Signe des temps : jeudi dernier, je me suis rendu compte que j’attendais plus les spoilers de Blade Runner 2049 que quoi que ce soit du film. Nous étions alors à une petite semaine de sa sortie belge, prévue pour ce mercredi 4 octobre, mais à quelques heures seulement de la levée de l’embargo imposé par la Warner sur les articles racontant ce qui se passe réellement dans cette suite du classique de Ridley Scott. Ca m’a rendu nerveux. De Twin Peaks à Westworld en passant par Black Mirror, Get Out, High Rise, Okja et Dunkirk, je me suis récemment cogné à trop de hypes survendues et trop is te veel, comme disait l’autre. Hollywood ne m’aura plus. C’est que je suis overdosé de ce que l’on nous refourgue à chaque coup : des histoires incohérentes, des personnages invraisemblables, des motivations débiles, de la sentimentalité gnangnan, du cliché à la pelle et, surtout, ces systématiques enjeux familiaux même quand il s’agit de sauver l’univers. Pour me calmer (ou pour me trouver une bonne raison d’encore plus m’énerver, je ne sais pas au fond), je me suis donc décidé à lire tout ce qui a été publié sur Blade Runner 2049 et quand je dis tout, c’est vraiment tout. Rassurez-vous : je ne vais pas répéter ici ou lister en détail tout ce qui en a été dévoilé sur les réseaux sociaux depuis ce vendredi, 15h00. Disons juste que j’ai trouvé les spoilers du film complètement cousus de fil blanc, très prévisibles, pas très engageants. Ce qui n’est pas forcément une tare. Après tout, la trame du premier volet tenait elle aussi de la vaste couillonnade, un scénario sur timbre-poste inspiré de la pire littérature de gare mais génialement aspergé de futurisme anxiogène et de vertiges existentiels.

J’ai toutefois eu beaucoup de mal à croire ce que je lisais (« ils ne se sont quand même pas contentés que de ça alors que tout le monde crie au chef d’oeuvre ? ») et c’est pourquoi je me suis alors décidé à traquer le synopsis complet du film. Pour ce faire, j’ai été me perdre sur des sites de cinglés comme Reddit et 4Chan. J’ai pris des notes, coursé les indices, virtuellement suivi ceux qui avaient l’air de savoir. Triangulé l’information, comme on dit. Ca a viré à l’obsession, à la fièvre, mais ça a payé. Samedi matin, j’avais sous les yeux le synopsis complet du film, validé par quelqu’un l’ayant vu. C’est une collection de grosses ficelles et de retournements de situation assez inutiles, encore un scénario qui se croit très intelligent mais ressemble en fait davantage à une simple fan-fiction qu’à du travail de pro. Le premier Blade Runner n’est bien entendu pas sans défaut, lui aussi à la base vraiment idiot. Mais c’est un film simple, linéaire et c’est sur cette simplicité que se greffent l’émotion et le vertige. Un flic alcoolique, au bout du rouleau, s’enfuit de sa vie de merde avec une poupée gonflable améliorée. Ca suffit, ça permet de broder. Or, Blade Runner 2049, c’est apparemment beaucoup plus tarabiscoté, de l’ordre de la mécanique, de l’engrenage, du multi-couches : un flic accro à une application informatique découvre un secret ultra prévisible de nature à ébranler le monde, se prend de passion pour son arbre généalogique, se bagarre avec des clochards, fait son Elise Lucet dans une grande corporation, devient conspirationniste, picole avec l’autre flic alcoolique à la vie encore plus merdique que 30 ans plus tôt, se prend pour Jésus, se voit plutôt confirmer son statut de loser intégral, etc…

Cette trame de base de Blade Runner 2049 n’est pas scandaleuse en soi. Comme pour le premier, elle descend en droite ligne des vieilles séries noires où à partir d’une enquête de routine, le détective dépressif met à jour une conspiration tentaculaire et déterre des imbroglios familiaux peu ragoûtants. Il ne faut pas non plus oublier que Blade Runner est adapté (enfin, comme Elio Di Rupo adapte la gauche) d’un roman de Philip K. Dick, autant dire le pape des rebondissements vicieux. Pourtant, c’est justement cette idée d’un Blade Runner 2049 truffé de surprises, de rebondissements et de retournements de situation qui me dérange le plus. Parce que c’est succomber à une mode de baraque foraine, déjà. Et puis, parce que le premier film ne comptait justement aucun twist sorti du chapeau, du moins avant que Ridley Scott n’en infantilise complètement le propos en insinuant dans ses versions ultérieures à celle de 1982 qu’Harrison Ford était lui aussi un répliquant ; transformant sur le coup une réflexion vertigineuse sur ce qui est humain ou pas en simple bataille de grille-pains parlants.

I’ve seen spoilers you people would not believe

« Un spoiler ne ruinera jamais un film avec John Wayne », dit-on très justement à Hollywood et ça marche aussi avec la plupart des films qui m’ont réellement assis sur le boule : Badlands, Barry Lyndon, Mc Cabe & Mrs Miller, Deliverance, Profession Reporter, Repulsion, Fargo, The Long Goodbye, Requiem pour un Massacre, Network, The French Connection, Massacre à la Tronçonneuse, Le Lauréat, Blood Simple, Le Démon dans la Chair… Certains sont des chefs d’oeuvre reconnus, d’autres sont plus discutables, tous racontent les choses de façon souvent directe, sans gros retournements de situations, ni coups de théâtre importants. Si je vous dévoile qu’à la fin de Fargo, Jerry Lundergaard essaye de s’échapper en caleçon par un vasistas de salle de bain alors qu’il fait moins 15 dehors, ça ne gâchera en rien votre plaisir de voir le film. Si je vous annonce que devant les épouvantables vingt dernières minutes de Requiem pour un Massacre, vous vous maudirez complètement de vous être demandé tout le film où restaient les putains de nazis, histoire que ça bouge enfin un peu, vous n’allez pas non plus trop m’en vouloir.

Logique. Qui dit spoilers dit forcément films à twists, les seuls où il y a quelque-chose à spoiler. Or, si les films à twists sont longtemps restés assez rares, depuis les années 1990-2000 et l’avènement hollywoodien de gros petits malins autoproclamés comme Nolan, Fincher, Shyamalan, Abrams et Villeneuve, ainsi que le succès de séries télévisées qui fonctionnent principalement sur ce genre de procédé feuilletonnesque, les retournements scénaristiques se sont à ce point généralisés qu’ils en sont devenus beaucoup trop communs, faciles, surfaits, obligés, fatigants et au fond aussi simplistes et ringards que le jumpscare, cette vieille combine de film d’horreur consistant à faire sursauter à la vue d’un chat sorti de sous une armoire. Depuis quelques années, je n’ai de toutes façons plus l’impression qu’il est encore possible d’apprécier un film récent dans son entièreté. Il faut lui voler des moments, en retenir des scènes, le réécrire, l’éditer et le remonter dans sa tête. Il est possible que Blade Runner 2049 finisse par me plaire mais tout ce qui l’entoure m’est à ce point désagréable que ce n’est plus une priorité de le voir. Je n’ai pas la passion geek des (prétendues) belles mécaniques, je suis énervé par la prétention et la laideur de son marketing, par le commun de son synopsis et surtout gêné par le problème tout même assez gratiné que pour un film voulu si secret, rien qu’à la vue de trois bande-annonces et à la lecture du casting, j’avais déjà deviné une demi-douzaine de points du scénario, ainsi qu’imaginé partiellement la fin rien qu’en voyant la façon de Ryan Gosling de jouer son personnage. Je me suis dit que tout ce que j’imaginais était impossible, parce que trop évident, trop enfantin. Mais ça y est malgré tout. Je n’en reviens pas non plus que les scénaristes aient été caler comme principale sous-intrigue à cette suite que personne n’a jamais réclamé précisément celle que tous les fans ont craint dès l’annonce de l’attribution des rôles principaux. La plus facile, la plus évidente, même si c’est pour au final la malmener. J’appelle ça faire le malin. C’est feignasse, beaucoup plus fainéant que de vraiment inventer tout autre chose, de virer à 180 et prendre une direction vraiment osée. Ca sert surtout moins l’histoire et le mythe de la désormais franchise que cela n’aide à gonfler les égos impliqués dans le projet. « Regardez comme elle prend du plaisir avec son serpent », disait-on dans le Blade Runner original et, oui, dernier signe des temps de cette chronique, je pense que tout cela est donc (à priori) fondamentalement moins du cinéma comme je l’entends et je l’attends qu’un simple concours de quéquettes. Time to die.

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