Laurent Raphaël

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Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

L’édito de Laurent Raphaël

A l’heure de la rétromania, de la néo-soul, des séries télé caramélisées à la nostalgie, du rock vintage, des films tentant de réanimer le cadavre du space opera (le dernier Disney, John Carter, par exemple), qu’est-ce qui est encore contemporain aujourd’hui? Aurions-nous tiré un trait définitif sur le présent pour nous lover dans le cocon ouaté des souvenirs? La technologie innove (dernier os à ronger, la future iTV d’Apple), mais les idées, les émotions, la pensée? C’est la panne. On n’invente plus, on recycle, au pire on copie, au mieux on accommode les restes avec plus ou moins de talent, comme dans le génial remix de Ric Hochet par DJ David Vandermeulen (lire le Focus du 9 mars).

La crise du contemporain menace. La belle affaire, diront certains. Où est le mal si ça fait du bien? Sauf qu’à force d’entendre toujours les mêmes rengaines, on va finir en cellule d’isolement à Fond’Roy. Et puis, on ne rompt pas impunément avec 4 milliards d’années d’évolution qui nous dictent jusque dans nos gènes d’aller de l’avant… Du coup, les docteurs se portent au chevet du malade. La revue de philo, d’art et de littérature Pylône (Filipson éditions) tente un premier diagnostic. Pas simple. Il faut déjà se mettre d’accord sur ce qu’on entend par contemporain. Est-ce être au diapason complet du présent, mais alors tout est contemporain, donc rien ne l’est (Jeangène Vilmer, philosophe canadien)? Ou est-ce s’écarter du flux temporel et de son protocole d’homogénéisation pour lui préférer un mode instable fait de ruptures et de discontinuités (Hans Ulrich Obrist, codirecteur de la Serpentine Gallery à Londres)? Vous ne voyez pas la nuance. Pas d’inquiétude. Ce qui compte, c’est de savoir pourquoi on cherche à (se) fuir. Peut-être à cause de l’accélération infernale de nos rythmes de vie.

C’est l’hypothèse séduisante avancée par le philosophe Hartmut Rosa dans Aliénation et accélération (La découverte). Selon ce penseur allemand, nous serions enfermés dans un schéma paradoxal hautement toxique: alors que les techniques font des bonds en avant, nous courons de plus en plus. Si nous exécutions hier 3 actions en 1 heure, nous en sommes aujourd’hui à 6, 7 ou 8. Les progrès ne nous facilitent pas le boulot, ils rendent juste possible l’aliénation à la vitesse. Il faut un obstacle physique (un embouteillage) ou une maladie (le fameux burn-out) pour arrêter la machine. Mais pas les frustrations.

Le temps serait devenu en quelque sorte trop riche en sucre pour nos organismes. Tout le monde est atteint de diabète. Résultat: on n’assimile plus ce qu’on ingurgite. On ne fait plus qu’accumuler des expériences dont les traces s’empilent stérilement sur des disques durs bourrés jusqu’à la gueule. Les symptômes de cette « accéléropathie » sont faciles à repérer. Comme la difficulté de s’atteler pendant un temps relativement long à une tâche, que ce soit lire un livre ou écouter un album de A à Z sans interruption. Etre conscient de cette pression insidieuse et potentiellement pathologique ne résoudra pas le problème, mais c’est le premier pas vers la guérison. Dans ce contexte, le passé fait office de lot de consolation, comme une tentative de renouer avec des rythmes plus humains…

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