Culture à la télé, mission impossible?

C'est Cult © Victor Pattyn 2015
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Avec C’est Cult et L’Invitation, la RTBF lance deux nouveaux rendez-vous culturels quotidiens. Un micro-agenda qu’elle veut ludique et une mini-émission d’immersion. L’occasion de faire le point sur la culture à la télévision.

Le lundi 8 juin, ce n’est pas un mais deux nouveaux programmes culturels que la RTBF étrennera sur ses antennes. Le premier, qu’on n’a pas vu (pas disponible à l’heure d’écrire ces lignes), s’intitule C’est Cult et est présenté comme un agenda drôle et décalé. Rétro Chagall, Ardentes, Manon et Jean van Florette au KVS… Joëlle Scoriels (69 Minutes sans chichis) annoncera chaque jour, à 20h00, sur La Deux, un événement culturel en cours ou à venir. Menant sous la forme de sketch une micro interview avec un personnage incarné par le comédien David Scarpuzza, déguisé pour l’occasion. La deuxième s’appelle L’Invitation (20h15, La Trois). Le concept est simple. Convier un duo de téléspectateurs à un univers culturel qu’il connaît mal. Il y rencontrera les acteurs (auteur, artiste, metteur en scène, sculpteur, comédien…) qui en sont à l’origine dans un format quotidien de huit minutes. « L’idée est de donner le goût et l’envie au public d’aller à la rencontre d’une oeuvre. De donner le sentiment aux téléspectateurs que la culture est pour eux », résume à son sujet Anne Hislaire, responsable des magazines culturels de la RTBF.

Du ludique humoristique ultra bref, de l’immersif façon télé-réalité… Pas sûr que ça nous réconciliera avec les émissions culturelles audiovisuelles de plus en plus rares et de moins en moins intéressantes dans le paysage francophone. En voulant sortir la culture de son ghetto et en visant une offre plus accessible et proche de son public, en programmant prétendument pour le téléspectateur et pas pour le monde culturel, la RTBF nivelle par le bas. Pas nécessairement dans le choix des sujets -l’avenir nous le dira-, mais dans la manière dont ils sont abordés.

L'Invitation
L’Invitation© ADN Studio 2015

Ils semblent loin, pour ceux qui s’en souviennent, les Vibrato, Pop Shop, Follies, Génération 80 et plus près de nous Intérieur Nuit et autre Télécinéma. Ces temps où on se promenait avec les Kinks dans un parc bruxellois enneigé, où les Dead Kennedys foutaient un souk du méchant à Reyers, où l’on chopait T. Rex à sa sortie d’avion et regardait Bolan chanter dans les couloirs de Zaventem… A côté, The Voice et le D6Bels présenté par Quentin Mosimann font quand même un peu pitié.

« Si l’offre s’est tellement racrapotée, c’est que les émissions culturelles vont de pair avec des audiences rikiki. Qu’elles nécessitent trop de moyens pour le public qu’elles permettent de toucher, analyse Bernard Cools de l’agence médias Space. Ces chiffres souvent plus symboliques qu’autre chose sont une fameuse épine dans le pied. Même pour le service public, sachant qu’aujourd’hui la RTBF doit tirer un quart de ses revenus de la publicité. Les politiques restreignant leurs subventions, les chaînes du groupe sont devenues plus dépendantes du nombre de gens qu’elles attirent devant leur petit écran. »

Pour ses trois premiers numéros, Tellement Ciné a respectivement attiré 35.000, 28.000 et 45.000 téléspectateurs. « Il y a dix ans, avec des chiffres relativement semblables, alors que la concurrence était nettement moins forte, on n’aurait jamais lu dans la presse « L’Envers de l’écran menacé » après moins d’un mois sur l’antenne, note Bruno Deblander, porte-parole de la RTBF. Proportionnellement, la dotation est clairement inférieure à ce qu’elle représentait à la fin des années 90. Les programmes culturels ont un coût. Nécessitent plus d’argent que d’acheter une série américaine. Et les rentrées publicitaires ne sont pas négligeables dans nos budgets. Mais il ne faut pas diaboliser non plus et conditionner à cette situation la présence de ces émissions sur nos chaînes. »

Tellement ciné
Tellement ciné© RTBF

On peut par contre y lier l’évolution de leur contenu. Leur format. Leur forme. Le traitement du cinéma, de la musique, de l’art en général… « La télé et la culture ne font pas souvent bon ménage, reprend Bernard Cools. Quand des émissions plus aventureuses apparaissent, il y a peu de gens pour les regarder et il y a des coups de production à justifier. On se dirige alors vers du plus fédérateur, du moins cher et donc du plus court. »

A la niche…

Marc Dixon a lancé en septembre 1998 sur Canal + Belgique le dernier magazine musical intéressant de notre paysage audiovisuel. Fast Forward a en trois ans et demi interviewé Iggy Pop, taillé la causette avec Calexico, tiré le portrait de Garbage et amené Moby dans un magasin végétalien bruxellois… Il consacrait encore, lors de ses adieux début 2002, un sujet aux Super Furry Animals.

« C’était il y a longtemps. Une autre époque, glisse-t-il. Canal + essayait encore des choses. Notre émission passait en clair. On avait une identité. Mis à part les séries, je ne trouve plus mon compte à la télé de nos jours. La meilleure opportunité pour un groupe alternatif de passer à l’écran, c’est aujourd’hui de terminer un feuilleton. Il y a des raisons à tout cela. Notamment le déclin du commerce de la musique. Tout repose sur un problème de rentabilité. Elle ne rapporte rien à une chaîne de télé. Entre autres parce que sa consommation est devenue particulièrement morcelée. Aujourd’hui, elle n’est que niche et les responsables des chaînes ne veulent prendre aucun risque. Cargo de Nuit ou en France Les Enfants du rock avaient un esprit de découverte. Maintenant, on ne programme que ce qui marche. »

Nick Cave dans Cargo de nuit, en 1990
Nick Cave dans Cargo de nuit, en 1990© RTBF/Sonuma

« Cargo de nuit était diffusé sur la première chaîne le même jour que Strip-Tease, se souvient Anne Hislaire. C’était en phase avec l’époque. Nous étions des têtes chercheuses de la création. Des chiffres d’audience? Nous n’en avions pas. On était alors dans un jugement purement qualitatif. C’est toujours bien la nostalgie quand elle est positive. Tous ces programmes nous ont nourris. Mais nous dressons des constats et menons des réflexions sur les publics en permanence. Avec l’apparition d’Arte Belgique et de 50 Degrés nord qui suivait l’actu culturelle de façon quotidienne, d’autres programmes ont également dû se repositionner. Nous sommes partis vers des émissions plus thématiques. Qu’elles soient consacrées au cinéma ou à la littérature. Puis, la concurrence est différente. Des chaînes se sont installées et il faut composer avec Internet. »

Direction Web…

Internet. Le mot est lâché. Ennemi juré? Insoupçonnable allié? « C’est la preuve que les canaux culturels existent en dehors de la télé, estime Bernard Cools. Quand on a des goûts pointus, on peut trouver tout ce qu’on veut sur le Web. Je crois honnêtement que les émissions culturelles vont toutes à terme y déménager. Ou peut-être sur des chaînes très thématisées mais le problème sera alors leur modèle économique. Internet n’est pas nécessairement une mauvaise alternative. Il permet une grande diversité de format. Long, moyen, court, capsule… Tout y est possible. »

The Voice Belgique
The Voice Belgique© RTBF

L’inconvénient de la Toile, c’est qu’elle limite la découverte à ceux qui la cherchent. « Mon sentiment général, c’est qu’on pense trop souvent le téléspectateur dépourvu de la moindre curiosité, commente un membre de la maison préférant rester anonyme… Il y a sans doute eu des exagérations dans les années 80. Un moment où nous avons un peu trop parlé aux niches. Mais aujourd’hui, nous avons abandonné notre boulot d’exploration et de défrichage. Quand la publicité est apparue chez nous, le loup est en quelque sorte entré dans la bergerie. Avec pour sanction que nos programmes doivent marcher. Le mot culturel lorsqu’il est utilisé par la RTBF fait peur. Quand il n’évoque pas une émission de téléréalité genre The Voice ou façon « prenons un garagiste et amenons-le à l’opéra », il est trop souvent assimilé à intellectuel et casse-couilles. Même si c’est un leurre de penser que la culture mènera à de grosses parts de marché, il est possible de la rendre sexy, rock’n’roll et en même temps de qualité. Dans le temps, on avait le nez fin en allant par exemple dénicher un dEUS encore débutant ou un Nirvana avant le buzz mondial… Nous avons trois chaînes, nous pouvons proposer des alternatives. Des appels à projets sont d’ailleurs lancés. Mais après, c’est une question de choix. Il y a de grosses disparités budgétaires entre l’information, le sport et tout le reste. Puis, quand tu tournes une émission littéraire à Charleroi, c’est dur de faire venir Paul Auster… »

La tournure navrante que prennent les émissions culturelles audiovisuelles et leurs relents promotionnels sont aussi liés à l’évolution des industries. Des industries de plus en plus cadenassées. « Avant, on prenait notre temps et on nous en donnait les moyens, se souvient Dixon. On pouvait passer une journée, minimum quatre ou cinq heures, avec un artiste. C’est devenu extrêmement compliqué. »

« Sur le cinéma, la communication est vraiment dictée par l’agenda des sorties et encadrée par les services de com », abonde Bernard Cools. Difficile de tirer grand-chose d’une interview menée en trois minutes chrono en main.

« Nous n’avons pas sorti toutes nos cartouches, achève Bruno Deblander. Il y aura la rentrée de septembre et nous menons une grosse réflexion sur le Web. Nous allons prochainement arriver avec un site culture enrichi en termes de contenu, notamment audiovisuel. Et on peut y imaginer de la production propre. » Wait and see…

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