Critique théâtre: Pauvre petit poussin!

© Ophélie Longuépée
Estelle Spoto
Estelle Spoto Journaliste

Aux Tanneurs, les trois mâles blancs de Transquinquennal jouent les Calimero avec leur position imposée de dominants. Attention: ceci n’est pas un spectacle.

On le sait depuis longtemps, avec le collectif Transquinquennal, il faut s’attendre à tout. Ou plutôt il ne faut s’attendre à rien, venir sans préjugés. La dernière création de Bernard Breuse, Miguel Decleire et Stéphane Olivier, Calimero, n’est pas un spectacle. Ces trois mâles blancs, hétéros, cisgenres de plus de 50 ans s’y placent eux-mêmes à la fois sur le banc des accusés, coupables d’appartenir par leurs caractéristiques à la catégorie des dominants, et sur le divan du psychanalyste, au sein d’un bric-à-brac qui sera avant tout un lieu de réflexion.

Un bric-à-brac sur le plan du décor, où se côtoient une tente, une table avec des livres, une mappemonde-bar, un vieux canapé, des écrans, des caméras et des cages avec des poussins pépiant sous des lampes chauffantes, rappels du personnage de dessin animé coiffé d’une demi-coquille d’oeuf à la constatation répétée: « C’est vraiment trop injuste ».

Et un bric-à-brac sur le plan de la construction puisqu’on passe dans le désordre d’un extrait vidéo de 1975 où Jean-Louis Servan Schreiber interviewe Simone de Beauvoir –« Comment expliquez-vous que la gauche ne soit pas tellement plus féministe que le reste de la population qui n’a pas des opinions plus avancées? », demande-t-il; « Mais parce que la gauche, comme tous les partis, est dominée par les hommes et que les hommes n’ont jamais intérêt à fouler aux pieds leurs privilèges », répond-elle- à des face caméra reproduisant des entretiens avec des militants, d’interrogations sur la composition de la bibliothèque personnelle de Bernard Breuse à l’évocation d’Ada Lovelace, pionnière méconnue de la programmation informatique au XIXe siècle, et à la composition de l’équipe de rénovation de l’AfricaMuseum de Tervuren. En passant par de longs moments où le public peut intervenir sur la question « comment changer tout ça? », par l’intermédiaire d’un micro planqué dans un cube de mousse lancé de mains en mains.

On y parle aussi du sexe et de la couleur de peau des directeurs de théâtres, dans le lieu même où la goutte d’eau a fait déborder le vase des inégalités hommes-femmes dans le secteur culturel -l’éviction de David Strosberg, accusé de harcèlement, suivie de la nomination d’Alexandre Caputo alors que beaucoup attendaient le choix symbolique d’une femme à la nouvelle direction.

Le principal défaut de ce Calimero est en même temps son principal mérite: il s’agit d’un work in progress, d’un support à la réflexion, d’une parenthèse pour prendre du recul (comme Michel Siffre, passant deux mois au fond d’un gouffre en 1962) et se poser les bonnes questions. Il faut dire que sur un tel sujet, il semble particulièrement ardu, impossible sans doute, d’arriver avec un produit fini. Le chantier est en cours.

Calimero: jusqu’au 30 mars au Théâtre les Tanneurs à Bruxelles, www.lestanneurs.be

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