Critique scènes : Mama Winnie

© Reyer Boxem
Estelle Spoto
Estelle Spoto Journaliste

Dans une scénographie de machines sonores bricolées, neuf femmes sortent Winnie Mandela de l’ombre de Madiba pour un hommage en chant, en musique, en danse et en échos avec leur présent. Hétéroclite mais poignant.

Dear Winnie n’est pas un biopic. Ceux qui cherchent une restitution linéaire, remplie de faits et de dates, de la vie de Nomzamo Winifred Zanyiwe Madikizela trouveront plutôt leur compte sur la page que lui consacre Wikipedia s’ils sont pressés ou, s’ils ont plus de temps, dans la biographie écrite par Anne Marie du Preez Bezrob. Le spectacle mis en scène par Junior Mthombeni, lui-même d’origine sud-africaine (lire aussi l’article du Vif), est plutôt un hommage, où les sauts dans le temps se succèdent et ou s’enchaînent les points de vue.

Elles sont neuf femmes sur le plateau pour porter cet hommage, et toutes, si elles vivent en Europe, portent l’Afrique dans leur coeur et dans leur peau. En soi, ce casting est déjà une révolution pour une scène belge. La première à entrer dans la lumière, c’est la chanteuse de jazz Denise Jannah, doyenne du groupe, incarnation la plus affirmée de Winnie, notamment lors de sa longue période d’emprisonnement. Mais il y a aussi une Winnie plus jeune, pleine de vitalité et combative dans son treillis militaire, béret kaki vissé sur la tête, en la personne de Tutu Puoane, la fameuse chanteuse originaire d’un township près de Pretoria et qui a travaillé chez nous notamment avec le Brussels Jazz Orchestra, Ivan Paduart ou encore Toots Thielemans. Si Joy Wielkens et Ntjam Rosie portent aussi le chant de vibrante façon, Tutu mène souvent les choeurs, notamment lors d’un rappel a capella à faire tomber, où elle clame l’adhésion collective à l’héroïne (« Nous suivons Winnie Mandela, où qu’elle aille nous irons »).

Mais le coup de chapeau peut aussi prendre un tour hip-hop, sur le flow bondissant de Gloria Boateng (avec des petits clins d’oeil à la planète rap, notamment à KRS-One), devenir une chorégraphie silencieuse sur un tas de vêtements (une évocation du massacre de Soweto, le 16 juin 1976) à travers Alesandra Seutin, virer à la visite guidée dans les tomwnships menée par la clownesque Jade Wheeler ou se transformer en cris de petite souris par la voix d’Andie Dushime. Mais ces comédiennes-danseuses-chanteuses incroyables de polyvalence livrent aussi leur propre vision de Winnie et leur propre vécu du racisme, comme lors de la séquence où Mahina Ngandu envoie un « fuck you SinterKlaasje » au patron des écoliers qu’accompagne Zwarte Piet.

Ce kaléidoscope s’étirant parfois un peu en longueur mais riche en moments intenses prend place au milieu d’une scénographie où se côtoient différentes machines à faire de la musique. Des câbles tendus forment une harpe gigantesque, des tuyaux suspendus constituent un orgue de fortune, une boule va du grave à l’aigu et des bottes frappent en rythme, rappelant à la fois les bottes de l’oppresseur qui écrasent et la gumboot dance née chez les mineurs d’Afrique du Sud.

Alors, Winnie Mandela est-elle « une héroïne », « une balance », « une salope », « une maquerelle » ? Le spectacle ne tranche pas et renvoie à la figure des spectateurs un « how dare you ? » à la Greta Thunberg : qui êtes-vous pour la juger ?

Dear Winnie : jusqu’au 1er février au KVS à Bruxelles, www.kvs.be

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