Critique scènes: Maeterlinck à son paroxysme

© Bertrand Nodet
Estelle Spoto
Estelle Spoto Journaliste

Il fallait l’oser et elle l’a fait. Héloïse Jadoul monte Intérieur, pièce en un acte de Maurice Maeterlinck destinée à l’origine à des marionnettes. En poussant les logiques de l’oeuvre à leur paroxysme, avec un résultat plastique plutôt étourdissant.

Dans sa note d’intention, Héloïse Jadoul explique que pendant les représentations du Partage de midi de Paul Claudel, son premier projet en tant que metteuse en scène, « un ami très proche de ma famille apprenait qu’il avait une tumeur au cerveau. Il ne lui restait que trois mois à vivre ». C’est de cette irruption brutale de la mort dans la vie, de cette annonce qui fait que la première imbibe soudainement la seconde que traite Intérieur, pièce de Maeterlinck écrite en 1894. Un seul acte qui dilate les instants précédant le basculement, alors que deux personnages -le Vieillard et l’Étranger, ici féminisé- chargés d’une nouvelle tragique hésitent face à la maison de la famille heureuse à qui ils doivent l’annoncer? Et une pièce destinée à l’origine par son auteur à des marionnettes, comme La Mort de Tintagiles et Alladine et Palomides. Bref, le genre de pièces réputées impossibles à monter, surtout pour en faire un spectacle complet, avec des comédiens.

Héloïse Jadoul réussit le tour de force en dilatant à son tour ces quelques moments. Dans un étonnant champ-contrechamp qu’elle dissout temporellement. Une audace qui repose aussi sur une scénographie traduisant visuellement l’instant où le bonheur paisible éclate sous le coup des mots chargés de mort. Entre l’intérieur et l’extérieur, elle glisse aussi une (un peu trop) longue section au croisement du tableau vivant et de la chorégraphie, avec le renfort d’une dizaine de « participant·e·s bruxellois·e·s », qui donne chair à la foule de Maeterlinck et où s’agglutinent des gestes de dévotion de l’iconographie du sacré.

Quant à la désincarnation de corps qu’exigeraient les marionnettes, elle s’opère ici d’une part grâce à des « freezes » irréels, donnant aux acteurs des airs de mannequins de cire, et, d’autre part, grâce à une dissolution par la lumière, gommant tous les traits, réduisant l’épaisseur à deux dimensions.

Grâce à ces choix téméraires, Héloïse Jadoul donne une vigueur et une consistance contemporaine à cette pièce brève au goût prononcé pour la mystique du quotidien et le pouvoir du silence.

Intérieur: jusqu’au 8 octobre à la Balsamine à Bruxelles, www.balsamine.be, du 13 au 15 octobre au Théâtre le Manège à Mons, www.surmars.be, les 8 et 9 mars à la Maison de la Culture de Tournai, www.maisonculturetournai.com

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