Critique scène: week-end d’ouverture de la Biennale de Charleroi danse

Le Chant des ruines
Estelle Spoto
Estelle Spoto Journaliste

Ce week-end s’ouvrait aux Écuries carolos la Biennale 2019 de Charleroi danse. Retour sur le lancement d’un festin chorégraphique de trois semaines, avec un regard inquiet sur le futur, un dé/compte, des rebonds sur le dos et des enfants. Des spectacles à rattraper en tournée.

Survivre au XXIe siècle

Charleroi danse étant quand même le Centre chorégraphique de la Fédération Wallonie-Bruxelles, c’est une chorégraphe du cru, la Bruxelloise Michèle Noiret, qui lançait les festivités avec la première de son Chant des ruines. Une pièce pour cinq danseurs -trois garçons et deux filles, dont Sara Tan, à qui Noiret a transmis récemment son fameux solo Vertèbre– oscillant entre extraits de films mimés en playback, danse où une menace hors champ inquiète les mouvements, vidéo accaparant le regard sur un écran qui occupe tout le fond de scène et interventions perturbées de bugs d’un androïde vantant les mérites d’un guide de survie au XXIe siècle.

« Survie » et pas « vie » car le siècle qui vient semble bien sombre. En manipulant de simples plaques, les danseurs suggèrent aussi bien la fonte des glaciers que les naufrages de migrants. Une séquence filmée au plus près d’un tas de fragments de carton évoque l’exploration post-apocalyptique des ruines de notre civilisation. Une forêt part en flammes. L’impossibilité de continuer à vivre dans notre type de société est explicitée dans une interview distillée en bribes dans la bande-son (solide travail de Todor Todoroff).

Avec des moyens simples et une utilisation inventive des technologies de l’image, Michèle Noiret livre une radioscopie de notre temps, lucide mais où l’espoir point encore, dans la lueur servant de ciment à un couple, dans le chant d’un oiseau résonnant au milieu des cendres.

Le Chant des ruines: du 18 au 22 février au Théâtre National à Bruxelles, www.theatrenational.be

Infini
Infini© Alain Scherer

The Final Countdown

Le Français Boris Charmatz, aujourd’hui basé à Bruxelles et artiste associé à Charleroi danse pour trois saisons, entamait la soirée inaugurale avec Levée. Dans cette pièce d’une vingtaine de minutes issue d’un atelier, une trentaine d’enfants s’appropriaient, dans un joyeux désordre mais une écoute mutuelle attentive, les mouvements oscillatoires de Levée des conflits (2010). Mais le gros morceau de l’ancien directeur du Musée de la Danse (CCN de Rennes et de Bretagne) était la première belge d’Infini. Radical, Charmatz développe dans cette pièce pour six danseurs (dont lui-même) des suites de chiffres, significatives de la manie humaine de tout mesurer, tout quantifier. Au fil des comptes et des décomptes, on traverse le code binaire, une tentative de s’enfoncer dans le sommeil, ce qu’est une vie humaine et, carrément, l’histoire de l’humanité, avec une attention particulière aux « minorités » (si seulement les manuels scolaires pouvaient contenir autant de femmes que cette énumération et inverser, comme ici, le point de vue occidental sur la colonisation).

Un peu sec à certains moments, le concept déroulé au milieu d’une installation de gyrophares livre une danse de l’infiniment petit à l’infiniment grand, qui ne manque ni d’humour ni de provocation.

Infini: du 25 au 28 mars au Kaaitheater à Bruxelles, www.kaaitheater.be

Inoah
Inoah© Théâtre de Liège

Corps bondissants

Ils sont dix. Dix hommes. Les pantalons aussi amples que des jupes, les couleurs unies (noir, orange, jaune…) de leurs tenues et, pour certains, les crânes rasés leur donnent des airs de moines bouddhistes. Et leur maîtrise du corps est aussi épatante que celle de leurs lointains cousins du temple Shaolin. Les danseurs du Grupo de Rua, la compagnie fondée par le chorégraphe brésilien Bruno Beltrão (lire notre interview), semblent pouvoir tout faire. Surtout ce que le corps ne fait jamais. Ils glissent sur la tête, ils rebondissent sur le dos comme des ballons de basket. Ils sautent sur place, bras arqués, poings serrés, puissants, dans une posture de défi. Ils oscillent sur eux-mêmes et s’avancent, à petits pas, courbés, le visage tourné vers le sol.

Ils entrent et sortent de la lumière, se font poursuivre par les projecteurs. Il y a quelque chose de carcéral dans cet univers uniquement masculin, sombre, aux grondements sourds, où s’ouvrent bientôt sur l’extérieur des fenêtres étroites, à une hauteur inaccessible. Bout d’arbre et de mont, oiseaux et étoiles, câbles du réseau électrique: ce sont des morceaux du paysage d’Inoã, le quartier qui donne son titre au spectacle. C’est là, à mi-chemin entre Rio de Janeiro et le lac de Maricá, que s’est dessinée la pièce.

Si Bruno Beltrão est entré dans la danse par le hip-hop, Inoah n’a rien à voir avec une battle. On y décèle quelques traces de break, de locking et de krump, comme on y perçoit les ombres de bençõas et de floreios de capoeira, mais tout cela n’est plus que le soubassement d’autre chose, un nouvel idiome, tantôt doux, tantôt brutal, en train de s’inventer. Fortiche.

Inoah: le 9 octobre au Stuk à Louvain, les 12 et 13 octobre au Grand Théâtre de Luxembourg, les 15 et 16 octobre au Théâtre de Liège, le 23 octobre au Concertgebouw de Bruges, le 25 octobre au Théâtre le Manège à Mons.

La Biennale de Charleroi danse se poursuit jusqu’au 26 octobre, à Charleroi et Bruxelles, www.charleroi-danse.be

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