Critique

Critique ciné: Infinitely Polar Bear, au nom du père

Mark Ruffalo et Zoe Saldana dans Inifinitely Polar Bear © DR
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Pour son premier long métrage en tant que réalisatrice, la scénariste américaine Maya Forbes revient sur ses jeunes années passées aux côtés d’un père diagnostiqué bipolaire.

« Inspiré d’une histoire vraie. » Le label a parfois de quoi faire fuir en courant. S’agissant du premier long métrage de Maya Forbes, ex-scénariste du Larry Sanders Show ou du film d’animation Monsters vs. Aliens, il en va ceci dit sensiblement autrement. « Je voulais faire un film à propos de ces petits triomphes et échecs par lesquels nous passons tous au cours de nos existences, nous expliquait ainsi la quadragénaire américaine, binoclarde joviale au débit mitrailleur, alors qu’on la retrouvait sur la terrasse de la Villa Cartier, à Deauville, en septembre dernier. C’est ce que j’ai aimé dans le Boyhood de Richard Linklater: il n’arrive rien de dingue dans ce film, si ce n’est la vie qui suit son cours. Ça fait du bien de voir ça au cinéma. »

Point de climax ou de twist insensé, donc, dans Infinitely Polar Bear, comédie dramatique guidée par la recherche d’une certaine authenticité et alimentée par le propre vécu de Forbes, alors qu’à la fin des années 70 sa jeune soeur et elle étaient livrées à l’instabilité et aux excentricités quotidiennes d’un père maniaco-dépressif (joué par Mark Ruffalo à l’écran) tandis que leur mère entreprenait de reprendre des études afin de leur assurer un niveau de vie et d’éducation plus décent. « J’ai rencontré beaucoup de réticences en amont, parce que je n’avais jamais rien réalisé auparavant mais aussi et surtout parce que le sujet était jugé trop sombre. Brandir une maladie mentale en guise d’étendard fait toujours un peu peur, en effet. Mais moi je savais que je voulais faire un truc plein de chaleur et d’énergie. En aucun cas quelque chose de déprimant. Ce film se devait d’être une célébration. Une célébration de choses tristes souvent (sourire), mais une célébration malgré tout. Concrètement, l’équilibre n’a toutefois pas toujours été facile à trouver. Si vous allez trop loin dans l’humour, vous donnez l’impression de ne pas vous soucier de votre histoire. Et si vous allez trop loin dans le drame, il vous est impossible de faire rire juste derrière. Mais si vous trouvez le bon dosage, c’est banco. Parce que le bonheur est toujours meilleur après un peu de malheur (rire).« 

Family business

Parfois indie jusqu’à la caricature (une musique pop omniprésente, un mix permanent d’humour décalé et d’émotion sensible…), cette chronique familiale modeste épousant le rythme des saisons fonctionne aussi forcément sur le mode de la catharsis pour son auteure. « Oui, il y a définitivement quelque chose de cathartique dans ce film mais je ne voulais absolument pas donner l’impression d’y faire ma thérapie pour autant. Il s’agissait vraiment d’éviter la complaisance, le nombrilisme. Vous savez, au bout du compte, j’ai eu une enfance tristement ordinaire. Ou plutôt très ordinaire dans sa tristesse (sourire). Et je voulais avant tout faire un film que j’aurais envie de voir en tant que spectatrice. Quelque chose qui reste divertissant. Ceci étant, je n’en nourrissais pas moins une certaine appréhension quant à la manière dont ma famille proche allait percevoir le film. Ma mère et ma soeur l’ont découvert à Sundance mais je les avais tenues au courant de l’avancée du projet. Elles avaient déjà lu le scénario en amont, par exemple, et ont même rappelé à mon souvenir certaines anecdotes communes afin de nourrir le film. Elles respectent ma vision des événements et ont toujours été très encourageantes. Quant à mon père, il est mort en 1998, mais j’ai l’impression qu’il a rendu visite à Mark Ruffalo dans ses rêves pour lui souffler des conseils (sourire).« 

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Modèle de tolérance et d’optimisme posant la question de la normalité même, Infinitely Polar Bear suggère in fine qu’il est possible de connaître une vie pleinement épanouissante dans la marginalité et la différence. « J’ai connu plusieurs personnes dans ma vie à qui l’on avait diagnostiqué l’un ou l’autre problème d’ordre mental. Et je me dois de constater aujourd’hui que ces personnes, parfois difficiles à vivre au quotidien certes, m’ont toutes apporté énormément de choses positives, de par l’énergie qu’elles dégageaient et ce regard unique qu’elles posaient sur le monde. » De là à en conclure que ce contexte particulier dans lequel elles ont grandi a eu une influence déterminante sur les affinités artistiques de Maya et sa soeur (China Forbes est l’une des deux chanteuses du groupe jazzy Pink Martini), il n’y a qu’un pas… « Je me suis souvent posé la question. Je n’ai pas forcément la réponse, mais ça me semble tout à fait plausible, oui. Mon père était un formidable raconteur d’histoires, et la musique était très présente chez nous. Il régnait une sensibilité particulière à la maison, c’est un fait. » ˜

Infinitely Polar Bear. Comédie dramatique de Maya Forbes. Avec Mark Ruffalo, Zoe Saldana, Imogene Wolodarsky. 1h28. Sortie: 08/07.

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