Critique

[Critique ciné] Carré 35, bouleversant!

© DR
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

DOCUMENTAIRE | L’acteur Éric Caravaca remonte le fil de son histoire familiale en quête de vérité sur le tabou entourant la mort d’une soeur qu’il n’a jamais connue.

Il a traîné sa nonchalante silhouette d’éternel étudiant en Lettres chez François Dupeyron, Patrice Chéreau, Lucas Belvaux, Brigitte Roüan ou, plus récemment encore, Philippe Garrel. À 51 printemps, Éric Caravaca revient, douze ans après Le Passager, avec un deuxième long métrage -documentaire celui-ci- réalisé par ses soins. Dans sa note d’intention, il raconte: « Tout commence sur le tournage d’un film. Le décor ce jour-là est un cimetière en Suisse. Marchant dans les allées, je me retrouve dans ce qu’on appelle le « carré enfant ». Devant ces petites tombes parsemées pour certaines de jouets noircis par le temps, émaillées de quelques mots gravés sur la pierre qui parfois ne comporte qu’une seule date, une tristesse profonde m’envahit. Je ne comprends pas: je n’ai aucune raison d’être dévasté par ces tombes d’enfants. Une évidence m’apparaît aussitôt: je porte une tristesse qui n’est pas la mienne. »

[Critique ciné] Carré 35, bouleversant!

Fils d’immigrés espagnols passés par le Maroc et l’Algérie avant de gagner la France, Caravaca découvre sur le tard qu’il a eu une soeur, dont l’existence et la disparition, survenue avant sa propre naissance, lui ont toujours été cachées. Bizarrement, tous les films et photos la concernant ont été brûlés. Et le comédien de collecter alors les indices, interrogeant entourage et archives jusqu’à trouver le chemin de la concession qui donne son titre au documentaire. Là, à Casablanca, sur le petit livre de marbre blanc qui orne la sépulture, l’image est encore manquante. Caravaca, pourtant, ne se décourage pas, et ses questions ont le don d’agacer une mère murée dans le déni qui n’aura, au cours de sa vie, cessé de se réinventer pour moins se souvenir. « Enfin, on ne peut pas y revenir« , résumera son père, résigné. C’est pourtant bien tout le projet filmique du fils, creusant la terre meuble de l’inconscient familial afin d’en exhumer ce qu’il appelle « la vérité d’une histoire cachée« , flottant déjà quelque part en lui dans ce que la psychanalyse désigne comme « les cryptes au sein du moi« .

Les vivants et la mort

Sobre, pudique, d’une sidérante justesse, mené sur le mode d’une enquête sensible… À dire vrai, on n’avait pas vu d’aussi confondant portrait de famille depuis le vertigineux Stories We Tell de Sarah Polley, autre actrice guettant la naissance des fantômes sur la piste des secrets du passé. Il y a quelque chose du cinéma de Chris Marker, aussi, dans cette façon si singulière d’arpenter le labyrinthe de la mémoire. Et de faire dialoguer histoire intime et coloniale, toutes deux marquées du sceau infamant de la culture de l’oubli.

Co-écrit en compagnie du romancier Arnaud Cathrine et mis en musique par Florent Marchet, Carré 35 avance avec les yeux grands ouverts, qu’il redonne un visage à une soeur condamnée à ne pas exister jusque dans son tombeau ou filme celui, éteint, d’un père tout juste emporté par la maladie. Ce n’est peut-être rien d’autre que cela, au fond, le cinéma selon Éric Caravaca: apprendre à regarder la mort en face. Bouleversant!

D’Éric Caravaca. 1h07. Sortie: 31/01. ****(*)

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content