Critique

[Critique ciné] Aquarius, la femme de Recife

Sonia Braga dans Aquarius de Kleber Mendonça Filho © DR
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

DRAME | Kleber Mendonça Filho signe un magnifique portrait de femme dans un film filant le temps qui passe dans le Brésil d’aujourd’hui. Fort.

Au même titre que Toni Erdmann de Maren Ade, Aquarius aura constitué l’une des belles surprises du dernier festival de Cannes, laissant spectateurs et critiques conquis, à défaut d’un jury ayant snobé l’un comme l’autre -comprenne qui pourra. Signant là une oeuvre ample, le cinéaste brésilien Kleber Mendonça Filho (lire son interview dans le Focus du 23 septembre) compose un magnifique portrait de femme en même temps qu’il y ausculte les mutations de son pays, le temps qui passe imposant son tempo incertain au récit.

Au coeur de ce dernier, donc, Clara (Sonia Braga), une femme à la soixantaine élégante et altière, ancienne critique musicale vivant à front d’océan, à Recife, dans une résidence baptisée L’Aquarius. Un immeuble dont il apparaît bientôt qu’elle est l’ultime occupante, les promoteurs immobiliers ayant racheté l’ensemble des appartements la pressant de vider les lieux en y mettant à peine les formes. Perspective que ses enfants encouragent eux aussi, mais à laquelle elle ne veut se résoudre, refusant de laisser derrière elle ses souvenirs et un pan de l’histoire familiale. Et de reconsidérer son existence à l’aune de l’agitation du moment…

La fureur de vivre

Révélé en 2012 par Les Bruits de Recife, Kleber Mendonça Filho signe avec Aquarius un second long métrage fascinant. Le réalisateur s’y livre à un stimulant mélange des genres, son film débordant, à la suite de cette femme, du carcan exclusif du mélodrame familial pour s’aventurer aussi en terrain politique, à quoi il ajoute, tant qu’à faire, des éléments de « siege movie » -ces films évoquant un état de siège dont il aurait toutefois gommé les artifices outranciers. Clara est une résistante en effet, dont le leitmotiv pourrait être de rester verticale en toutes circonstances, qu’il s’agisse d’affronter, volontaire, une société immobilière sans scrupules, ou encore d’en remontrer aux outrages du temps -n’a-t-elle pas surmonté un cancer, il y a 30 ans de cela?

Pour autant, Filho évite l’écueil du sentimentalisme, tout comme il s’abstient de verser dans le pamphlet. Et si son film ne se fait faute d’épingler les dérives du néo-libéralisme, s’inscrivant limpidement dans la réalité brésilienne, il porte largement au-delà. Il émane en effet de ces 2 heures 20 découpées en trois chapitres et comptant d’innombrables ramifications un enivrant sentiment de liberté, doublé d’un furieux appétit de vivre, dont même l’inexorable marche du temps ne saurait avoir raison. Disposition idéalement incarnée par Sofia Braga, la star brésilienne, interprète du Baiser de la femme araignée d’Héctor Babenco,mais encore du Milagro, de Robert Redford,s’acquittant des multiples nuances de ce rôle avec une autorité relevée d’une grâce toute solaire, âme de cet Aquarius à l’impact discrètement indélébile…

DE KLEBER MENDONÇA FILHO. AVEC SONIA BRAGA, MAEVE JINKINGS, IRANDHIR SANTOS. 2H20. SORTIE: 28/09. ****

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