Critique

Ceci n’est pas un film

Que faire quand vous êtes réalisateur et qu’il ne vous est plus permis d’exercer votre art? Réponse de Jafar Panahi: se fendre d’un non-film.

En décembre 2010, le cinéaste iranien était condamné à 6 ans de prison et 20 ans d’interdiction de tourner pour cause de « participation à des rassemblements » et « propagande contre le régime » – en vrai, il était « coupable » de préparer un film inspiré des manifestations consécutives à la réélection du président Mahmoud Ahmadinejad en juin 2009. Aujourd’hui, Panahi, assigné à résidence, attend toujours le verdict de la cour d’appel, entretenant le vague espoir d’une réduction de peine tandis que continuent de se multiplier les manifestations de soutien à son égard ou en faveur de plusieurs de ses confrères iraniens partageant semblable sort. Seulement voilà, le réalisateur du Ballon blanc, du Cercle et de Hors Jeu n’est pas du genre à attendre sagement à la maison que l’on délibère de son cas. Alors il appelle un ami documentariste, Mojtaba Mirtahmasb, et avec son aide, suivant le principe qui veut que « Quand les coiffeurs ne savent pas quoi faire, ils se rasent la tête entre eux », il va se filmer, dans son appartement de Téhéran, le jour de la traditionnelle Fête du feu. Et le quotidien le plus banal -Panahi se lève, s’habille, fait la vaisselle, nourrit l’iguane de sa fille…- de se faire acte de résistance -il lit, face à la caméra, puis donne vie dans son salon à un scénario qu’il n’a pas pu tourner-, quand il ne questionne pas la nature même de son art, notamment à travers des extraits de ses anciens films: qu’est-ce que le cinéma? Panahi doute, Panahi craque –« Si on peut raconter un film, à quoi bon le réaliser? »– mais, in fine, adresse un incroyable pied de nez à la censure iranienne.

Un « effort », comme aime à l’appeler le cinéaste, qui n’aurait sans doute pas pu voir le jour sans les récentes innovations numériques. En partie tourné à l’aide d’un iPhone, Ceci n’est pas un film est en outre sorti d’Iran via une clé USB planquée dans un gâteau transporté par une femme jusque Paris.

De mémoire cinéphile, le dernier Jafar Panahi ne ressemble à aucun film connu. L’Iranien, ancien assistant de Kiarostami, ose l’insolence et la désobéissance. Et se fend de ce non-film culotté qui témoigne de sa situation, journal de bord où le quotidien du cinéaste renvoie bientôt à un état des lieux sans appel de l’actuel cinéma iranien, bâillonné. Ce que traduit parfaitement le titre, magrittien en diable, de cet ovni dédié « à tous les réalisateurs iraniens ». Quand Panahi se pique de lire puis donner vie, vaille que vaille, à l’un de ses scénarios interdits, on pense brièvement au principe du Camion de Marguerite Duras. Sauf que l’artifice ne relève ici nullement d’une envie forcenée de modernité mais bien d’une pure impossibilité de réaliser: le geste est fort et courageux. Du beau cinéma, en somme. Mais, histoire de faire la nique à la censure jusqu’au bout, on préférera dire que voilà un non-film à… non-voir de toute urgence.

Nicolas Clément

CECI N’EST PAS UN FILM, NON-FILM DE ET AVEC JAFAR PANAHI ET MOJTABA MIRTAHMASB. 1H15. SORTIE: 19/10.

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