Critique

[À la télé ce soir] Within our Gates

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Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Arte poursuit de remarquable façon sa programmation sur le rôle et la position de l’artiste afro-américain.

Après le formidable I am not Your Negro de Raoul Peck sur James Baldwin, la chaîne franco-allemande nous propose un film majeur et « muet », un de ceux qui marquèrent en tout premier l’avènement d’un cinéma authentiquement afro-américain. Within our Gates est sorti en 1920, cinq ans après le film célébrissime de David W. Griffith Naissance d’une nation, un méga budget recréant de formidable manière l’époque de la Guerre Civile, dite de Sécession. Une réalisation magistrale, mais flétrie à jamais par l’exposition jamais critique des thèses des partisans du Sud, esclavagistes et se parant des oripeaux sinistres du Klu Klux Klan… au point d’avoir pour effet (entre autres) de favoriser la renaissance de cette organisation raciste répandant la terreur parmi les populations noires et ne craignant pas de commettre des lynchages… En 1919, quand il tourne Within our Gates, comme une réponse au film de Griffith, Oscar Micheaux a 35 ans et derrière lui quelques romans, ainsi qu’un premier long métrage réputé aujourd’hui perdu. Le natif de l’Illinois ne cachait pas son ambition de faire des films évoquant les Noirs américains autrement que via les clichés propagés par Hollywood comme par la société dans sa quasi-globalité. Il avait créé pour ce faire sa propre société de production. Within our Gates est son deuxième long métrage, et on l’a également longtemps cru détruit lorsqu’une copie en fut retrouvée à la Cinémathèque… espagnole, en 1993. C’est cette version qui a été restaurée, avec des titres en anglais approximativement reconstitués. Le film débute par un carton expliquant que l’action commence dans le nord des États-Unis, où n’existent pas les préjugés racistes régnant dans le sud… sauf qu’on y pratique tout de même occasionnellement le lynchage des Nègres (« Negroes », l’appellation de l’époque, reprise par le film). Une pique humoristique, pour un film qui sera très grave, faisant écho au combat d’une jeune institutrice métisse pour sauver une école consacrée à l’enseignement des enfants noirs. Une femme à qui on dérobe sa chance de bonheur amoureux, et qui doit par surcroît vivre avec le souvenir du lynchage de ses parents adoptifs… Evelyn Preer incarne avec un beau mélange de force et de fragilité l’héroïne, Sylvia Landry. Interprète d’une petite dizaine de films d’Oscar Micheaux, celle qu’on surnomma dans la communauté afro-américaine « the First Lady of the Screen » est magnifique dans un film passionnant, qui épingle notamment l’utilisation de la religion pour maintenir le peuple dans l’ignorance et la résignation…

Drame de Oscar Micheaux. Avec Evelyn Preer, Flo Clements, James D. Ruffin. 1919. ****

Ce lundi 15 mai à 00h50 sur Arte.

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