Critique

[à la télé ce soir] Quelque chose qui vit et brûle

© Bocalupo Films / Altara Films
Nicolas Bogaerts Journaliste

Le réalisateur et documentariste italien Giovanni Donfrancesco réalise ici un tour de force d’une rare élégance.

Sur un long travelling dans les couloirs d’une Galerie des Offices, à Florence, plongée dans l’obscurité et aux murs battus par la pluie, la voix d’un jeune résistant italien de la Seconde Guerre mondiale résonne. Calmes, ses derniers mots adressés par missive à ses parents, quelques heures avant sa mise à mort, se déroulent en voix off, comme un testament. Il évoque cette destruction des corps, des villes, des villages et des idées, la souffrance de l’humanité sous le joug du nazisme et du fascisme, contre lesquels il a choisi de se dresser. Avec ceux d’autres camarades lointains de Bulgarie, d’Autriche, de Belgique, de Russie, maquisards, partisans, comme lui condamnés à mort pour actes de résistance (sabotage, diffusion de tracts, résistance armée), son témoignage terrible se colle à des images d’aujourd’hui.

Le réalisateur et documentariste italien Giovanni Donfrancesco réalise ici un tour de force d’une rare élégance, faisant lire ces derniers mots poignants, ferments de lumière dans une terre battue à mort, par des jeunes Européens d’aujourd’hui, dans leur vie de tous les jours. La géographie réelle et symbolique de la souffrance à l’échelle continentale, telle qu’elle s’est déchaînée entre 1939 et 1945, est ici revisitée, chaque lieu filmé correspondant peu ou prou au paysage familier des résistants, propulsé quelque décennies plus tard, aujourd’hui. Conducteur de tram, ouvrier d’usine, étudiants, mère au foyer, pilote d’avion: depuis la banalité d’un quotidien du XXIe siècle où « nazi » est un adjectif qui sue la pauvreté d’esprit, où s’éructe « fascisme » à la moindre contrariété, où se travestit le port de l’étoile jaune, où se confondent liberté et privilège et où s’oublie toujours plus le tribut de cette jeunesse sacrifiée, ces mots arrachés comme la fleur de l’âge de leurs auteurs prennent une résonance bouleversante.

Les répétitions filmées d’un orchestre philharmonique jusqu’à sa représentation, qui scandent les propos d’une gravité terrible, noble et humble, offrent des saillies de lumière et d’espoir. Donfrancesco harmonise là l’ombre et la clarté, la mort et la vie, l’espoir et la désespérance, la sidération et l’engagement. Il cartographie la mémoire encore douloureuse et toujours étouffée, ignorée de ces combattants et combattantes qui n’auraient renié aucun de leurs engagements, même pour le bonheur de revoir leurs proches, les embrasser, retrouver une vie « normale », aussi paisible et sourde au crime soit-elle. Et d’outre-tombe, cette ardeur inextinguible a quelque chose de l’exemple.

Documentaire de Giovanni Donfrancesco. ****(*)

Lundi 13/09, 00h55, Arte.

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